Cookies : confirmation le 27 juin 2022 par le Conseil d’Etat de la sanction de 35 millions d’euros à l’encontre d’AMAZON

A l’instar de Google dont la sanction avait déjà été confirmée par le Conseil d’Etat le 28 janvier dernier, le « cookie » est également dur à avaler pour la société Amazon.

Dans sa décision du 27 juin 2022, le Conseil d’Etat a validé la sanction prononcée à l’encontre de la société Amazon Europe Core par la formation restreinte de la CNIL dans sa délibération du 7 décembre 2020.

Pour mémoire, la CNIL avait sanctionné la société Amazon Europe Core à une amende de 35 millions d’euros et ce, à raison des manquements constatés au titre de l’article 82 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (loi « Informatique et Libertés »), en sus d’une injonction de mise en conformité de son traitement de données dans les trois mois de la notification de la délibération sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard, et de la publication de la sanction.

A son tour, le Conseil d’Etat a confirmé la compétence de la CNIL en matière de cookies et ce, indépendamment du mécanisme de « guichet unique ». Il rappelle à nouveau que les manquements relevés à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés » (en l’occurrence, l’absence de recueil de consentement préalable au dépôt de cookies sur le terminal de l’utilisateur et l’insuffisance de l’information préalable de celui-ci) relèvent de la Directive ePrivacy et non du RGPD qui est le seul à prévoir ce mécanisme de « guichet unique ».

Cette compétence est également réaffirmée, y compris en présence d’un responsable de traitement non-établi en France mais disposant sur le territoire français d’un établissement impliqué dans les activités liées au traitement effectué, tel que la société Amazon Online France en charge de la promotion et la commercialisation d’outils publicitaires.

Le Conseil d’Etat balaie par ailleurs d’un revers de la main le grief de procédure irrégulière de la société Amazon Europe Core.

Sur le fond, le Conseil d’Etat confirme la caractérisation des atteintes constatées à l’article 82 précité. En particulier, la Haute Juridiction rejette l’argument de la société Amazon Europe Core selon lequel le cadre juridique applicable aux traceurs n’était pas clair et stabilisé au moment de l’engagement des poursuites à l’encontre de celle-ci et rappelle notamment le régime préexistant de l’article 32 II de la loi « Informatique et Libertés » qui prévoyait déjà les principes d’un consentement préalable au dépôt de cookies, d’une information claire et complète de l’utilisateur et d’un droit d’opposition.

Il est intéressant de noter que le Conseil d’Etat considère également que « la circonstance que d’autres autorités de contrôle nationales auraient pris des positions divergentes pour interpréter les conditions et modalités applicables au recueil du consentement de l’utilisateur est sans incidence sur l’application par la CNIL des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ».

Enfin, le Conseil d’État valide le caractère proportionné du montant de la sanction pécuniaire prononcée par le CNIL, au regard notamment de la gravité des manquements constatés et du chiffre d’affaires de 7,7 milliards d’euros de la société Amazon Europe Core sur lequel la CNIL s’est fondée pour prononcer sa sanction.

Par cette décision, le Conseil d’Etat conforte à nouveau la position de la CNIL en matière de sanction en cas de violation de la règlementation relative aux cookies et aux traceurs. Aucune excuse ne sera donc tolérée pour les responsables de traitement qui seraient encore réticents à se mettre en conformité.

Les avocats du Département Protection des données personnelles du Cabinet Alerion accompagnent leurs clients dans le cadre du respect des règles applicables aux cookies en amont de tout contrôle de la CNIL ou dans le cadre de contrôle diligenté par la CNIL.

Corinne Thiérache, Associée, et Carole Bui, Avocat du Département Droit des technologies et du numérique.

Suite (et fin ?) du feuilleton judiciaire sur la suspension du paiement des loyers commerciaux pendant le premier confinement 

3 décisions de la Cour de cassation sont attendues le 30 juin prochain pour statuer sur le bienfondé de la suspension du paiement des loyers par des preneurs exploitant des fonds de commerce destinés à recevoir du public qui ont dû fermer pendant le premier confinement en raison de la propagation de la covid-19.

Rappelons que la Cour de cassation est saisie de 30 pourvois de décisions de Cour d’appel statuant sur la problématique de la suspension du paiement des loyers pendant le premier confinement.

Les trois décisions à venir sont importantes car elles ont vocation à se prononcer sur l’ensemble des fondements juridiques invoqués dans ces pourvois. Elles présageront certainement des autres décisions qui seront rendues par la Cour de cassation dans le cadre de l’examen des 27 pourvois restants.

Rendez-vous le 30 juin …

Fahima Gasmi, Associée

La Cour de cassation française opte pour un contrôle “maximaliste” des sentences arbitrales en matière de corruption et de blanchiment d’argent

Cass. 1re civ., 23 mars 2022, n° 17-17.981

Paris, 5 avril 2022, n° 20/03242

Dans un arrêt très attendu du 23 mars 2022 rendu dans l’affaire Belokon, la Cour de cassation a confirmé que la conformité des sentences arbitrales à l’ordre public international français pouvait faire l’objet d’un « contrôle maximaliste » par le juge de l’annulation.

Ce revirement de jurisprudence de la Cour de cassation est venu confirmer les derniers arrêts de la Cour d’appel de Paris, tout en modifiant le critère d’appréciation de la violation susceptible d’emporter l’annulation de la sentence. L’ajout sera sans nul doute largement commenté.

Puis, dans un arrêt du 5 avril 2022, République gabonaise c. Société Groupement Santullo Sericom Gabon, la Cour d’appel de Paris a annulé une sentence au motif que sa reconnaissance ou son exécution serait contraire à l’ordre public international français, en utilisant le même critère que la Cour de cassation dans l’affaire Belokon

L’affaire Belokon : contexte

En 2007, un citoyen letton, M. Belokon, a acquis une banque kirghize, la Manas Bank. La Banque nationale du Kirghizistan a ensuite placé cette banque sous administration provisoire, puis sous séquestre, la menant finalement à sa faillite. M. Belokon a engagé une procédure d’arbitrage fondée sur le traité bilatéral d’investissement (TBI) entre la Lettonie et le Kirghizistan. La République kirghize a essentiellement fondé sa défense sur l’allégation selon laquelle l’investissement de M. Belokon dans Manas Bank avait pour objet la mise en place de montages de blanchiment d’argent et/ou d’évasion fiscale.

Dans une sentence du 24 octobre 2014, le tribunal arbitral a rappelé l’importance de la lutte contre le blanchiment d’argent. Toutefois, il a également noté que « les principes fondamentaux de respect des procédures et de charge de la preuve » ne devaient pas être « négligés lors du traitement de telles allégations ». Le tribunal arbitral a conclu que le défendeur n’avait pas apporté de preuves suffisantes à l’appui de ses allégations et a accordé à M. Belokon 33 millions USD à titre d’indemnité pour violation de la norme de traitement juste et équitable prévue par le TBI.

La République kirghize a formé un recours en annulation contre la sentence devant la Cour d’appel de Paris. Par un arrêt du 21 février 2017, la Cour d’appel de Paris a examiné en fait et en droit les positions des parties, a jugé qu’il existait « des indices graves, précis et concordants » de pratiques de blanchiment et a annulé la sentence. Selon la Cour, la reconnaissance ou l’exécution de la sentence aurait sinon pour conséquence de faire bénéficier M. Belokon du produit d’activités criminelles, ce qui constitue une violation « manifeste, effective et concrète » de l’ordre public international.

M. Belokon a formé un pourvoi contre cette décision, alléguant que la Cour n’avait pas le pouvoir de réexaminer l’affaire au fond et de réviser la sentence. C’est ainsi que la Cour de cassationa été amenée à se prononcer (enfin !) sur l’étendue du contrôle de la sentence par le juge de l’annulation lorsque l’ordre public international est en jeu.

Le contrôle « maximaliste » de la conformité de la sentence avec l’ordre public international

Pour mémoire, pendant de nombreuses années, la jurisprudence française a été comprise comme privilégiant un contrôle « léger » dans l’examen des violations potentielles de l’ordre public international par les sentences arbitrales soumises à son appréciation, depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire SA Thales Air Defence c/ GIE Euromissile (Paris, 18 nov. 2004)et l’arrêt de la Cour de cassationdans l’affaireSté SNF c/ Sté Cytec Industries BV (Cass., 1re civ., 4 juin 2008). Pour être sanctionnée, la violation devait être « manifeste, effective et concrète ». La même approche prévalait même lorsque le recours contre la sentence se fondait sur des allégations de corruption, comme dans l’affaire Schneider (Cass. 1re civ., 12 février 2014 ; contra : Paris, 30 septembre 1993, Westman).

Depuis 2014, la Cour d’appel de Paris a adopté une approche différente en faveur d’un examen plus approfondi des sentences arbitrales, d’abord lorsqu’étaient alléguées des infractions pénales internationalement reconnues telles que la corruption et le blanchiment d’argent (Sté Gulf Leaders for Management and Services Holding Company c. SA Crédit Foncier de France, 4 mars 2014 ; Congo c. SA Commissions Import Export, 14 octobre 2014, Alstom c. Alexander Brothers, 28 mai 2019), puis également en présence d’autres violations de l’ordre public international français (MK Group, 16 janvier 2018). Dans ces différentes affaires, la Cour d’appel de Paris a procédé à un examen en droit et en fait de tous les éléments (en ce compris des preuves nouvelles) permettant d’apprécier si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violait l’ordre public international français de manière « effective et concrète », tandis que l’exigence d’une violation « manifeste » ou « flagrante » n’a pas toujours été réaffirmée. 

Cependant, dans une décision récente, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a, pour sa part, appliqué l’approche minimaliste (Aix-en-Provence, 17 juin 2021). Une décision de la Cour de cassationétait donc attendue par les praticiens de l’arbitrage en France.

Dans son arrêt Belokon, la Cour de cassation a repris à son compte l’approche de la Cour d’appel de Paris et l’a approuvée pour avoir :

  • Fait référence à un « consensus international » reflété dans la Convention des Nations Unies contre la corruption du 9 décembre 2003 (la « Convention de Mérida ») plutôt qu’au droit pénal français, pour étayer sa conclusion selon laquelle l’interdiction du blanchiment d’argent fait partie de l’ordre public international français ;
  • Procédé à un examen approfondi de l’allégation selon laquelle la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait de nature à entraver l’objectif de lutte contre le blanchiment et violerait donc l’ordre public international, sans toutefois se prononcer sur le bien-fondé de la sentence sur tous ses autres aspects tels que sa conformité avec le droit kirghize ou l’obligation de traitement juste et équitable prévue par le traité bilatéral d’investissement (ce qui excèderait la mission du juge de l’annulation) ;
  • Décidé que cette instruction n’était ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres, ni liée par les conclusions de l’arbitre, sous réserve toutefois que le principe de la contradictionet l’égalité des armes soient respectés ;
  • Fondé sa décision sur plusieurs « indices graves, précis et concordants » de l’existence d’un blanchiment d’argent, appliquant la méthode du faisceau d’indices ou, selon les commentateurs, des « red flags » ; et
  • A la lumière de ce qui précède, jugé que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international français, « de manière caractérisée » selon la Cour de cassationqui s’est donc écartée de l’exigence antérieure d’une violation « flagrante [ou manifeste], effective et concrète ».

Quelques mois plus tard, dans l’arrêt Santullo précité du 5 avril 2022, la Cour d’appel de Paris a annulé une sentence au motif qu’elle donnait effet à des contrats obtenus par corruption et, par conséquent, violait l’ordre public international français « de manière caractérisée ».  

Ces décisions marquent la fin d’une longue période de doute quant à l’étendue du contrôle de la conformité des sentences arbitrales avec l’ordre public international, du moins lorsque sont en cause des allégations de blanchiment d’argent, de corruption ou d’infractions similaires reconnues au niveau international.

Jacques Bouyssou, Associé, Marie-Hélène Bartoli-Vallet, Counsel, Constance Benoist, Adrien Boyer et Juan Diego Niño-Vargas, Collaborateurs.

Cookie walls : publication de critères d’évaluation par la CNIL

En réponse aux nombreuses interrogations posées par les éditeurs de sites internet, la CNIL a publié le 16 mai 2022 des premiers critères permettant d’évaluer la légalité des cookie walls (ou « mur de traceurs »), lesquels conditionnent l’accès à un service à l’acceptation, par l’utilisateur, du dépôt de traceurs sur son terminal (ordinateur, smartphone, etc.).

En cas de refus des traceurs, certains éditeurs ont mis en place un choix alternatif afin de compenser la perte de revenus publicitaires résultant de l’absence de traceurs par un autre mode de rémunération, les paywalls : l’utilisateur qui refuse d’accepter les cookies doit payer une somme pour accéder au site.

Comme rappelé par la CNIL dans ses lignes directrices « cookies et autres traceurs » adoptées le 17 septembre 2020, le fait de conditionner la fourniture d’un service ou l’accès à un site à l’acceptation du dépôt de certains traceurs est susceptible de porter atteinte à la liberté du consentement. Toutefois, le Conseil d’Etat a rappelé dans sa décision du 19 juin 2020  que l’exigence d’un consentement libre ne peut pas justifier une interdiction générale de ces cookie walls, la liberté du consentement devant être appréciée au cas par cas en tenant compte notamment de l’existence d’une alternative réelle et satisfaisante en cas de refus des cookies.

Dans l’attente d’une législation ou d’un positionnement clair de la Cour de justice de l’Union européenne, la CNIL a estimé nécessaire de publier plusieurs critères permettant d’évaluer la légalité de telles pratiques :

  • L’utilisateur refusant les traceurs dispose-t-il d’une alternative réelle et équitable pour accéder au contenu ? L’éditeur devra veiller à la facilité d’accès à cette alternative, un déséquilibre pouvant exister, par exemple, en cas d’exclusivité de l’éditeur sur les contenus ou services proposés.
  • Alternative payante : le tarif est-il raisonnable ? La CNIL ne fixe pas de seuil en-dessous duquel le tarif peut être considéré comme raisonnable, ce qui doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas par l’éditeur.
  • Un cookie wall ou un paywall peut-il systématiquement imposer d’accepter l’intégralité des traceurs du site ? L’éditeur doit informer les utilisateurs, de manière claire, des finalités pour lesquelles il est nécessaire ou non de consentir. Selon la CNIL, la publicité ciblée et la personnalisation du contenu éditorial sont deux finalités différentes qu’il faut distinguer au moment de déterminer les finalités conditionnant l’accès au service.
  • L’utilisateur choisit l’accès payant sans consentir aux cookies : dans quels cas (limités) des traceurs peuvent-il tout de même être déposés ? L’éditeur pourra demander, au cas par cas, le consentement de l’utilisateur au dépôt de traceurs imposés pour accéder à un contenu hébergé sur un site tiers (par exemple, pour visionner une vidéo) qui requiert l’utilisation d’un cookie non strictement nécessaire, ou à un service demandé par l’utilisateur (par exemple, pour donner accès aux boutons de partage sur des réseaux sociaux). Dans ce cas, le consentement de l’utilisateur pourrait être recueilli, par exemple, au sein d’une fenêtre dédiée.

Il convient de noter que ces critères se concentrent sur les pratiques les plus couramment constatées et doivent donc faire l’objet d’une analyse plus précise par les éditeurs.

Les avocats du Département Protection des données personnelles du Cabinet Alerion accompagnent leurs clients dans le cadre du respect des règles applicables aux cookies en amont de tout contrôle de la CNIL ou dans le cadre de contrôle diligenté par la CNIL.

Corinne Thiérache, Associée, et Alice Marie, Avocat.

Feu vert de l’Union européenne sur l’encadrement des grandes plateformes : accord sur le Digital Services Act (DSA)

Le 23 avril 2022, soit près d’un mois jour pour jour après l’adoption de l’accord politique provisoire sur le Digital Markets Act (DMA) le 24 mars 2022, un accord a finalement été conclu entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sur le Digital Services Act (DSA) afin de moderniser les règles applicables aux services numériques.

Cette législation, qui doit encore être adoptée de façon formelle et définitive, fixe une nouvelle norme en matière de responsabilité des plateformes en ligne s’agissant des contenus illicites et préjudiciables.

Plus largement, l’objectif est de mieux protéger les droits fondamentaux des utilisateurs sur Internet en définissant des règles auxquelles les acteurs répondant aux conditions énoncées par le DSA devront se conformer, de façon proportionnelle à leur capacité et à leur taille, et ce dès lors qu’ils fournissent leurs services à des ressortissants de l’Union européenne.

Bien que ces plateformes en ligne conservent la qualification d’hébergeurs limitant leur responsabilité pour les contenus publiés, elles devront notamment proposer un outil permettant aux utilisateurs de signaler les contenus et produits illicites et désigner un « point de contact » dans chaque Etat membre qui servira d’interlocuteur privilégié avec les institutions judiciaires.

En matière de données personnelles, le DSA prévoit de nouvelles garanties pour la protection des mineurs et des limitations à l’utilisation de données à caractère personnel sensibles à des fins de publicité ciblée.

Les sanctions conséquentes, pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial voire une interdiction des activités sur le marché unique de l’Union européenne en cas de violations graves et répétées, devraient inciter les plateformes en ligne à s’y conformer et ainsi à mettre fin à l’opacité dans laquelle elles œuvraient jusqu’à présent.

Une fois définitivement adopté, le DSA sera directement applicable dans l’ensemble des Etats membres et mis en application quinze mois après son entrée en vigueur ou à partir du 1er janvier 2024, la date la plus tardive étant retenue. En ce qui concerne les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche en ligne, le DSA s’appliquera plus tôt, à savoir quatre mois après leur désignation.

Corinne Thiérache, Associée, et Alice Marie, Avocat du Département Droit des technologies et du numérique, avec le concours de Charlotte Guévelou, élève-avocat.

La Cour de cassation valide le barème Macron

Ce mercredi 11 mai, la Chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en sa formation plénière, a définitivement validé le barème Macron figurant à l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Ce barème détermine, au regard de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié, un plancher et un plafond d’indemnisation lorsqu’un licenciement est considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Cette décision, très attendue, s’inscrit dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel de mars 2018 ayant déclaré les barèmes conformes à la Constitution française et à l’avis favorable rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en juillet 2019. Par conséquent, les juges du fond seront tenus d’appliquer lesdits barèmes d’indemnisation permettant ainsi de sécuriser définitivement, côté employeur, les contentieux prud’hommaux.

Jacques Perotto, Associé et Quentin Kéraval, Avocat

Deliveroo France condamnée pénalement pour travail dissimulé : vers une remise en cause du business model des plateformes de livraison ?

Après la requalification en contrat de travail des contrats de prestations de services des « chauffeurs UBER » par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 4 mars 2020, n°19-13.316), le Tribunal correctionnel de Paris vient de condamner la société Deliveroo France à 375 000 euros d’amende pour délit de travail dissimulé ainsi que certains de ses anciens dirigeants à des peines de prison avec sursis.

Il est reproché à l’entreprise d’avoir « dissimulé un grand nombre d’emplois en omettant intentionnellement de procéder aux déclarations préalables à l’embauche et à la délivrance de bulletins de paie, en l’espèce, en recourant à des milliers de travailleurs sous un prétendu statut indépendant via des contrats commerciaux alors que ceux-ci étaient placés dans un lien de subordination juridique permanente à son égard (…) ».

Le raisonnement du juge répressif est en deux temps :

En premier lieu, il a dénié à Deliveroo l’application de la présomption de travailleur indépendant instituée par la législation au bénéfice des « plateformes de mise en relation par voie électronique ».

Pour mémoire en effet, de telles plateformes sont définies par le Code général des impôts (article 242 bis) comme des entreprises qui « mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service ».

Pour que cette présomption puisse jouer, le juge répressif estime qu’il est nécessaire que l’activité de la plateforme se limite à la seule mise en relation des personnes, ces dernières (i) procédant elles-mêmes à la vente de biens ou services et (ii) assurant entre elles la transaction afférente.

Au cas d’espèce, les statuts de l’entreprise prévoyaient de réaliser « la livraison, directement ou indirectement par l’intermédiaire de prestataires de services tiers, de tout produit se rattachant à son objet social, notamment tout produit alimentaire, plats cuisinés, boissons, sans fabrication par la Société ».

Dans les faits, le Tribunal a considéré que la Société ne se limitait pas à mettre en relation le restaurateur et le consommateur comme elle est censée le faire aux termes de l’article 242 bis du CGI pour bénéficier de la présomption ; celui-ci a constaté que :

  • Le restaurateur et le consommateur n’entraient jamais en contact direct ;
  • Les commandes étaient passées directement depuis l’application Deliveroo ;
  • Deliveroo France, par l’intermédiaire de ses livreurs, prenait en charge la commande et en assurait sa livraison chez le consommateur.

Et le Tribunal d’en conclure que Deliveroo France était « une plateforme de services » dont l’activité allait bien au-delà de la simple « mise en relation » et qui, par conséquent, ne pouvait bénéficier de ladite présomption.

Dans un second temps, le tribunal s’est livré à une appréciation classique des critères du salariat afin de caractériser l’existence d’un lien de subordination :

  • Formation délivrée par Deliveroo : pour évaluer leurs compétences, les « livreurs-candidats » devaient obligatoirement suivre, avant le démarrage de leur prestation, une formation théorique et pratique formalisée par une grille d’analyse précise, fournie et encadrée par Deliveroo France ;
  • Immixtion de l’entreprise dans l’organisation du travail des livreurs : les process de livraison étaient clairement définis par Deliveroo France, sans aucune marge de manœuvre pour le livreur qui ne pouvait décider de la manière de réaliser son activité ;
  • Tenue vestimentaire imposée : le port d’une tenue siglée était rendu obligatoire ;
  • Gestion des absences imposée : les livreurs étaient soumis à un système de connexions obligatoires avec validation préalable interdisant aux intéressés la possibilité de choisir librement les jours, les heures et leur lieu de travail ;
  • Facturation : celle-ci était centralisée au sein de Deliveroo pour l’ensemble de ses livreurs, à l’instar de l’employeur qui établit les bulletins de paie de ses salariés ;
  • Surveillance de l’activité des livreurs : le dispositif de géolocalisation caractérisait un véritable pouvoir de contrôle de l’activité des livreurs, les refus de livraison impactant par exemple les possibilités d’inscription sur des créneaux horaires ;
  • Tarification : impossibilité pour les livreurs de négocier librement leurs tarifs, ceux-ci étant décidés unilatéralement par Deliveroo ;
  • Exercice du pouvoir disciplinaire : absentéisme sanctionnée par des retenues tarifaires ou encore des rétrogradations dans les shift (appellation du créneau horaire attribué aux livreurs) ; voir la rupture des relations commerciales.
    En pratique, les livreurs réalisant un grand nombre de courses et au faible absentéisme étaient privilégiés au regard de leur ranking, au détriment des autres donc (indirectement sanctionnés de leur faible présence), par une primauté sur le choix des jours et des plages horaires travaillées (les weekend étant les plus rémunérateurs et donc les plus prisés).

Sur la base de ce « faisceau d’indices », le Tribunal correctionnel de Paris a considéré, pour caractériser l’infraction de travail dissimulé, que (i) les livreurs devaient être considérés comme étant salariés et que (ii) c’est de manière intentionnelle que Deliveroo France s’était affranchie de ses obligations déclaratives et de l’établissement de bulletins de paie.

Et maintenant ?

Deux séries de conclusions peuvent être formulées :

(i) Les contentieux liés à la requalification d’un contrat de prestation de services en contrat de travail peuvent se jouer en trois étapes :

  • Au pénal via la reconnaissance d’une situation de travail dissimulée.  

Une fois l’infraction pénale établie :

  • Place au contentieux URSSAF devant le Tribunal judiciaire : la reconnaissance d’un lien de subordination juridique entraine la réintégration de l’ensemble des sommes versées dans l’assiette des cotisations sociales.
  • Puis des actions prud’homales aux fins d’obtenir : indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité pour licenciement abusif, rappels de salaire sur les trois dernières années (notamment non-respect des minimas conventionnels, heures supplémentaires, majorations de salaire pour travail dominical) et  demandes de dommages et intérêts (non-respect des durées maximales de travail journalières et hebdomadaires, non-respect des temps de pause/repos, préjudice liés à la retraite, défaut de formation, etc …).

(ii) Cette décision pourrait mettre clairement à mal ce type de business model, apparemment, largement partagé par les concurrents de Deliveroo…

Jacques Perotto, Associé et Quentin Kéraval, Collaborateur.

Renforcement de la loi de blocage ou Blocking Statute : le guichet unique du SISSE

A partir du 1er avril 2022 (1), le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Economique (le « SISSE ») accompagnera les entreprises françaises visées par une demande de communication d’une autorité étrangère portant sur des documents ou renseignements stratégiques et sensibles, renforçant les dispositions de la loi du 26 juillet 1968 modifiée, dite « loi de blocage » (2).

Le SISSE – en sa qualité de guichet unique – aidera notamment les entreprises à identifier les documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique pouvant – ou non – être transmis à ces autorités étrangères.

Les entreprises concernées devront informer le SISSE de toute demande de communication émise par une autorité publique étrangère ou par toute personne agissant pour son compte.
Un dossier devra être remis au SISSE (moyens sécurisés), comportant un organigramme permettant d’identifier les personnes contrôlant la société visée, une description de ses activités, une liste de ses principaux concurrents français et étrangers et les motifs de la demande de communication (3).

Le SISSE disposera d’un délai d’un mois pour instruire le dossier avec les autorités compétentes (ministères de la Justice, des Affaires Etrangères, Agence Française Anticorruption, Autorité des Marchés Financiers, etc.) et adresser un avis portant sur l’applicabilité des articles 1 et 1 bis de la loi de blocage.

Lorsque la demande de communication émane d’une autorité étrangère (article 1), le SISSE examinera l’existence de risques d’atteinte aux intérêts de la France et pourra, le cas échéant, assister l’entreprise pour contester ces demandes. Lorsque la demande s’inscrit dans une enquête judiciaire ou administrative (article 1 bis), le SISSE pourra solliciter le ministère de la Justice et donner pleine efficacité aux outils de coopération internationale.

***

La loi de blocage, un bouclier contre l’extraterritorialité des lois étrangères

La loi de blocage interdit, sous réserve des traités ou accords internationaux (4), à toute personne, physique ou morale, de communiquer par écrit, oralement ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des autorités publiques étrangères (5) ou lors de procédures judiciaires ou administratives étrangères (6). Toute infraction à ces dispositions est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 18 000 euros (7).

Les juridictions françaises n’ont appliqué ces dispositions qu’une seule fois, donnant lieu à une amende de 10 000 euros (8). Les autorités étrangères, en particulier les autorités américaines, refusent donc régulièrement de tenir compte de l’interdiction de communication au motif que le risque pénal est presque nul (9).

Le SISSE, créé en 2016 et rattaché à la Direction générale des Entreprises (ministère de l’Economie), est chargé d’animer la politique de sécurité économique française et coordonne la protection des technologies et des entreprises face aux menaces étrangères. Il se coordonne avec les autres ministères, services ou autorités indépendantes afin d’unifier la réponse étatique à apporter.

Confrontées à des demandes croissantes, principalement américaines (on se rappelle les affaires Alstom (2014), Société Générale (2018) ou Airbus (2020)), les entreprises françaises réclamaient un véritable « réarmement » de la législation – au-delà du rôle attribué à l’AFA par la loi Sapin II – pour se protéger des procédures extraterritoriales du type e-discovery, Cloud Act et autres subpoenas. Il reste à voir comment cette règlementation sera considérée par les autorités étrangères.

Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à contacter l’équipe Conformité et Affaires réglementaires.

Frédéric Saffroy, Associé & Alice Bastien, Avocat

(1) Décret n° 2022-207 du 18 février 2022.

(2) Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968, modifiée par la loi n° 80-538 du 16 juillet 1980.

(3) Arrêté du 7 mars 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, publié au JORF du 16 mars 2022.

(4) Tels que la Convention de La Haye du 18 mars 1970.

(5) Article 1 de la loi n° 68-678.

(6) Article 1 bis de la loi n° 68-678.

(7) Article 3 de la loi n° 68-678.

(8) Cass Crim, n°07-83.228, 12 décembre 2007.

(9) Société Nationale Industrielle Aérospatiale v. U.S. District Court for the Southern District of Iowa, 482 U.S. 522 (1987).

Sanctions européennes et ripostes russes

Des sanctions accrues contre la Russie : les cryptomonnaies visées

Les 9 et 10 mars 2022, l’Union européenne a accentué ses sanctions à l’encontre de la Russie et a ajouté de nouveaux noms à la liste des personnes concernées par un gel des avoirs et une interdiction de voyage. Au 15 mars 2022, 862 personnes physiques et 53 entités étaient inscrites (Règlement (UE) 2022/396 du 9 mars 2022 et Règlement (UE) 2022/408 du 10 mars 2022).

Le Conseil a également modifié la définition de valeurs mobilières dans le Règlement 833/2014 modifié afin d’inclure les titres sous la forme de cryptoactifs. Sont ainsi interdites les opérations directes ou indirectes d’achat, de vente ou de prestation de services d’investissements portant sur des cryptoactifs émis par une personne morale ou entité établie en Russie et détenue ou contrôlée à plus de 50% par la Russie ou par toute personne morale ou entité établie en dehors de l’Union dont plus de 50% des droits de propriété sont détenus par la Russie (Règlement (UE) 2022/394 du 9 mars 2022).

Les ripostes russes : saisies des filiales de groupes étrangers

En riposte aux sanctions européennes, un texte législatif russe en cours d’adoption prévoit la vente forcée d’entreprises établies en Russie et détenues ou contrôlées par des personnes physiques ou morales de pays « inamicaux » (Union Européenne, Royaume-Uni, Etats-Unis, Australie, Canada, Japon, etc.), lorsque les actionnaires ou les organes d’administration ont cessé leurs fonctions ou lorsque leurs actions pourraient conduire à la fin des activités, à une liquidation ou à une faillite de l’entreprise.

La Russie soumet également au consentement préalable de la Commission gouvernementale sur les investissements étrangers, présidée par le ministre des Finances russe, les opérations entre les résidents russes et les personnes provenant de pays inamicaux en matière de prêts, de valeurs mobilières et d’immobilier. Le consentement est aussi nécessaire dans les opérations portant sur de la monnaie étrangère ou utilisant des moyens de payement électroniques (Décret No 81 du 1er mars 2022).

Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à contacter l’équipe Conformité et Affaires réglementaires.

Frédéric Saffroy, Associé et Alice Bastien, Avocat.

Contributions sociales payées par des résidents britanniques en 2021 sur les revenus du patrimoine : possibilités de réclamation

1. Maintien sous conditions des exonérations de CSG et CRDS pour les résidents britanniques

En raison de la sortie du Royaume-Unis de l’Union Européenne, depuis le 1er janvier 2021 les résidents britanniques ne bénéficient plus des exonérations de CSG et de CRDS prévues par le droit interne sur les revenus du patrimoine (ce qui inclut notamment les plus-values immobilières ou les revenus fonciers).

Toutefois, l’administration s’est récemment exprimée en faveur d’un maintien de cette exonération pour les résidents britanniques en application des accords de sortie du Royaume-Uni, sous réserve toutefois de remplir les conditions suivantes :

– être affilié à la sécurité sociale britannique ;

– être ressortissant ou résident de France, du Royaume-Uni ou d’un autre Etat membre de l’Union européenne ;

– ne pas être à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale français.

2. Délais de dépôts d’une réclamation

Pour les personnes concernées, il est possible de déposer une réclamation en vue de solliciter la restitution des contributions sociales acquittées en 2021, dans les délais légaux :

– Concernant les plus-values immobilières (et les autres revenus prélevés par voie de retenue à la source), la réclamation doit être déposée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant le prélèvement de cette retenue à la source (soit au plus tard le 31/12/2023 pour les plus-values réalisées en 2021).

– Concernant les revenus fonciers, les prélèvements sociaux étant payés après émission d’un avis d’imposition, la réclamation doit être déposée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant leur mise en recouvrement (soit au plus tard le 31/12/2023 au titre de la CSG et CRDS payée en 2021 sur les revenus fonciers 2020).

Le prélèvement de solidarité de 7,5% reste dû.

Tout résident britannique qui aurait payé des contributions sociales au titre d’une plus-value immobilière réalisée en 2021 ou de revenus fonciers ou de revenus de location meublée perçus la même année a intérêt à présenter une réclamation.

Nos équipes sont à votre disposition pour accompagner les personnes concernées dans cette démarche.

Stanislas Vailhen, Associé et Maxime Sniegula, Avocat.

Résumé de la politique de confidentialité

Version mise en ligne Janvier 2020

Alerion, en tant que responsable de traitement, attache une importance toute particulière à la protection de vos données personnelles (ci-après « Données Personnelles » ou « Données »), telles que définies par le Règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des Données Personnelles et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, dite « Informatique et Libertés » (ci-après dénommés ensemble la « Règlementation »).

La présente Politique de confidentialité a vocation à détailler de manière transparente la manière dont Alerion recueille, stocke, utilise et divulgue vos Données Personnelles lorsque vous consultez le site Internet, accessible notamment à l’adresse https://www.alerionavocats.com/ (le « Site ») et/ou que vous souhaitez obtenir des services ou informations proposés sur le Site (les « Services »).

La présente Politique est complétée, le cas échéant, par nos Conditions Générales de Services qui sont annexées aux Conventions d’honoraires d’Alerion, ainsi que par les mentions informatives indiquées dans nos formulaires de collecte de Données.

En utilisant le Site vous acceptez la Politique de confidentialité.

Plus d'informations ici