Impacts du Brexit sur vos droits de propriété intellectuelle : ce qui changera assurément au 1er janvier 2021

14 décembre 2020
Corinne Thiérache, Carole Bui et Alice Marie

Cela ne fait plus de mystère : depuis le 1er février 2020, le Royaume-Uni est devenu un « pays tiers » de l’Union européenne, bien que l’accord de retrait signé le 24 janvier 2020 et ratifié le 29 janvier 2020 par le Parlement européen (ci-après « l’accord de retrait ») ait ménagé une période de transition prenant fin le 31 décembre 2020 (aussi dénommé « Exit Day ») pour laisser à tous le temps de se préparer.

Le point final de ce feuilleton à rebondissements débuté en juin 2016, qui devait être mis ce dimanche, a encore une fois été repoussé mais cela ne remettra pas en cause les développements présentés ci-après.

La date fatidique de l’Exit Day se rapprochant à grands pas, la question du sort de vos droits de propriété intellectuelle se pose donc tout particulièrement en cette fin d’année 2020, que vous soyez titulaires de marques ou de dessins ou modèles (1), de brevets, de certificats complémentaires de protection ou d’indications géographiques (2).

1. Le sort des marques de l’Union européenne et des dessins ou modèles communautaires enregistrés et non enregistrés

Après la fin de la période de transition, les conséquences du Brexit sur les marques de l’Union européenne et les dessins ou modèles communautaires enregistrés (« DMCE ») et non enregistrés seront multiples et dépendront du stade de la procédure auquel se trouve votre demande au 31 décembre 2020.

a) Pour les demandes en cours à la fin de la période de transition

• Les demandes de marques de l’Union européenne ou de DMCE en cours à la fin de la période de transition ne couvriront plus le Royaume-Uni.

Toutefois, un droit de priorité de 9 mois à compter de la fin de la période de transition sera accordé au demandeur pour déposer une demande identique au Royaume-Uni (même dessin ou modèle ou même marque pour des produits ou services identiques ou contenus dans la demande initiale), à condition qu’une date de dépôt ait été octroyée (article 59, paragraphe 1 de l’accord de retrait).

Cette nouvelle demande sera réputée bénéficier de la même date de dépôt et de la même date de priorité que la demande initiale.

A cet effet, il conviendra de prévoir le cas échéant la désignation d’un mandataire bénéficiant d’une adresse au Royaume-Uni afin de suivre la procédure devant l’Office britannique (IPO).

• Les dessins ou modèles communautaires non enregistrés (DMCNE) divulgués au public n’auront d’effets que dans les Etats membres de l’Union européenne.

Pour autant, la protection au Royaume-Uni des DMCNE ayant pris naissance avant la fin de la période de transition sera maintenue par l’octroi automatique d’un droit de propriété intellectuelle exécutoire, en vertu du droit du Royaume-Uni, qui offre le même niveau de protection, et ce pour une durée au moins égale à la durée restante de protection du DMCNE correspondant (article 57 de l’accord de retrait).

b) Pour les titres enregistrés avant la fin de la période de transition

• Le titulaire d’une marque de l’Union européenne enregistrée avant la fin de la période de transition deviendra, sans réexamen et gratuitement, titulaire d’une marque constituée du même signe pour les mêmes produits et services, enregistrée et exécutoire en vertu du droit du Royaume-Uni, avec les caractéristiques suivantes :

– bénéficiant de la même date du dépôt ou date de priorité et, le cas échéant, de l’ancienneté d’une marque du Royaume-Uni revendiquée en vertu de l’article 39 ou 40 du Règlement (UE) 2017/1001,

– non susceptible de déchéance au motif que la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire du Royaume-Uni avant l’Exit Day.

• Le titulaire d’un DMCE et, le cas échéant, publié à la suite d’un ajournement de publication avant la fin de la période de transition deviendra, sans réexamen et gratuitement, pour le même dessin ou modèle, titulaire d’un droit enregistré et exécutoire en vertu du droit du Royaume-Uni, avec les caractéristiques suivantes :

– la durée de protection de ce droit enregistré en vertu du droit du Royaume-Uni sera au moins égale à la durée restante de protection pour le DMCE correspondant,

– la date de dépôt ou la date de priorité de ce droit enregistré en vertu du droit du Royaume-Uni sera celle du DMCE correspondant.

ATTENTION : si une marque de l’Union européenne ou un DMCE est déclaré(e) nul(le) ou frappé(e) de déchéance dans l’Union européenne au terme d’une procédure qui était en cours le dernier jour de la période de transition, le droit correspondant au Royaume-Uni sera également déclaré nul ou frappé de déchéance, avec la même date d’effet.

• Les enregistrements internationaux ayant désigné l’Union européenne avant la fin de la période de transition ne seront plus valides au Royaume-Uni.

L’accord de retrait impose au Royaume-Uni de prendre des mesures avant la fin de la période de transition pour que la protection demeure valable sur son territoire (article 56 de l’accord de retrait).

Il est à noter qu’un délai supplémentaire de 3 ans est laissé aux titulaires pour désigner un mandataire au Royaume-Uni, soit jusqu’au 31 décembre 2023.

c) La question des formalités de renouvellement et d’inscription

• Renouvellement : Un droit lié à une marque ou à un dessin ou modèle enregistré au Royaume-Uni aura pour première date de renouvellement la date de renouvellement du droit de propriété intellectuelle correspondant enregistré au niveau de l’Union européenne.

ATTENTION : il faudra renouveler les nouvelles marques britanniques qui en découlent directement auprès de l’IPO car le renouvellement de la marque européenne n’emportera pas renouvellement de la marque britannique. Ceci est également valable pour les marques européennes qui auraient été renouvelées avant la date de sortie mais dont la période de renouvellement courait toujours à cette date.

Pour les renouvellements qui doivent avoir lieu après la fin de la période de transition, l’Office britannique va envoyer des rappels aux titulaires de marques (ou aux mandataires inscrits). Si le rappel a lieu après la date d’échéance, un délai de grâce de 6 mois s’ouvrira pour procéder au renouvellement, et ce sans taxe de retard.

• Inscriptions aux registres : Les inscriptions effectuées auprès de l’Office européen (EUIPO) ou auprès de l’Organisation mondiale (OMPI) pour les marques internationales désignant l’Union européenne ne seront pas automatiquement prises en compte par l’Office britannique (sauf pour les inscriptions déjà publiées).

Il faudra donc faire une inscription spécifique auprès de l’Office britannique pour que l’inscription soit prise en compte.

Concernant les actions en cours (actions en nullité, déchéance, etc.), elles ne sont applicables au Royaume-Uni que si elles sont devenues définitives avant l’Exit Day.

• Usage et déchéance : Les marques qui ont acquis une renommée au sein de l’Union Européenne avant la fin de la période de transition pourront toujours jouir de cette renommée au Royaume-Uni. Ensuite, il faudra prouver que la marque est bien notoire au Royaume-Uni afin de pouvoir continuer à bénéficier de ce statut.

Quant aux actions en déchéance, elles concernent les marques qui n’ont pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans à compter de leur date d’enregistrement. Toutefois, si cette période comprend une période antérieure à l’Exit Day, l’usage de la marque devra être pris en compte, qu’il concerne ou non le Royaume-Uni.

d) La question de la représentation devant les offices

Après la fin de la période de transition, les personnes physiques ou morales qui sont domiciliées au Royaume-Uni ou qui y ont leur siège devront être représentées devant l’EUIPO dans toutes les procédures, autres que le dépôt d’une demande de marque ou de dessin ou modèle, par des personnes satisfaisant aux conditions énoncées à l’article 120 du règlement (UE) 2017/1001 et à l’article 78 du règlement (CE) nº 6/2002.

Toutefois, lorsque, avant la fin de la période de transition, une personne autorisée à représenter une personne physique ou morale devant l’EUIPO représentait une partie dans une procédure engagée devant l’Office, ce représentant peut continuer à représenter cette partie à tous les stades de ladite procédure (article 97 de l’accord de retrait).

2. Le sort des brevets, certificats complémentaires de protection et des indications géographiques

• Le brevet européen : L’Office Européen des Brevets (OEB) n’étant pas une institution de l’Union européenne, le Brexit n’affectera pas les brevets européens. Après la fin de la période de transition, le Royaume-Uni restera membre de la Convention sur le brevet européen (CBE).

En revanche, le Brexit aura un impact sur le futur brevet unitaire et la future Juridiction Unifiée des Brevets (JUB), dès lors que l’Accord sur la JUB prévoit le respect de la primauté du droit de l’Union européenne et le fait que les décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) s’imposeront à la JUB.

• Le certificat complémentaire de protection : après la fin de la période de transition, le règlement (CE) n°469/2009 et le règlement (CE) n°1610/96 ne s’appliqueront plus au Royaume-Uni.

Toutefois, ces dispositions continueront de s’appliquer en ce qui concerne les demandes en cours présentées à une autorité du Royaume-Uni avant la fin de la période de transition pour les médicaments et les produits phytopharmaceutiques (ainsi que pour la prolongation de la durée de ces certificats).

• L’indication géographique : Lorsqu’une indication géographique est protégée dans l’Union européenne à la fin de la période transitoire, les personnes habilitées à l’utiliser continueront à l’être au Royaume-Uni après la fin de la période transitoire. Si la protection cesse dans l’Union européenne après la fin de la période transitoire, la protection cessera également au Royaume-Uni.

A partir du 1er janvier 2021, les nouveaux dépôts de marques, de dessins ou modèles ou encore de brevets devront se faire directement auprès de l’Office britannique (IPO) afin d’obtenir une protection au Royaume-Uni, en sus des demandes au titre des certificats complémentaires de protection et des indications géographiques. La désignation d’un mandataire bénéficiant d’une adresse au Royaume-Uni sera alors le cas échéant nécessaire afin de suivre la procédure devant l’IPO.

Les avocats du département Propriété Intellectuelle d’Alerion accompagnent les acteurs économiques s’agissant de la gestion de leurs droits de propriété industrielle au Royaume-Uni.

Corinne Thiérache, Associée, Carole Bui, Avocat et Alice Marie, Juriste.