Egalim 4 : Encore une réforme du droit de la négociation commerciale en France.

30 avril 2024
Catherine Robin

Une nouvelle réforme de la loi dite « Egalim » est annoncée d’ici la fin 2024, en écho à la crise agricole. Mais c’est quoi au juste, Egalim ?

  1. Le contexte législatif : un foisonnement législatif

La législation française en matière de négociation commerciale est un cas unique. Depuis 1986, des dizaines de textes législatifs modifient le dispositif, avec une obligation de signature d’une « convention unique écrite » entre le fournisseur et le distributeur, « au plus tard au 1er mars » [1]. Ce principe est accompagné de diverses autres obligations : contenu obligatoire, communication des conditions générales de vente, calendrier strict de la négociation commerciale…

Les lois dites « EGalim » ont ajouté un principe de juste rémunération des agriculteurs : trois lois se sont succédé en cinq ans, suivies de décrets d’application et d’une loi d’urgence en vue de l’inflation pour l’année 2024[2].

La loi EGalim 1 avait pour objectif de « payer le juste prix aux producteurs » en créant un principe de construction du prix par proposition des agriculteurs, le prix devant prendre en compte les coûts de production selon des indicateurs de référence élaborés par les organisations interprofessionnelles. En cas de variations du coût des matières premières et de l’énergie, les prix sont renégociés. Les opérations promotionnelles sont encadrées et le seuil de revente à perte des denrées alimentaires est relevé de 10% pour permettre un rééquilibrage des marges en faveur des agriculteurs et des petites entreprises.

Le dispositif a été renforcé par la loi EGalim 2 : pour protéger les agriculteurs, elle impose la contractualisation écrite de leurs relations avec leur premier acheteur. La part de matières première agricole dans le prix des produits alimentaires est devenue non négociable et, dans les conditions de vente, elle doit apparait clairement, selon les trois options prévues par la loi. En plus de la clause de révision automatique, une clause de renégociation du prix en fonction des matières premières en cas de prix fixe, a été ajoutée.

Enfin, la loi Descrozaille dite « Egalim 3 », complétée par la loi relative à la situation d’urgence d’inflation en France, est venue renforcer l’arsenal juridique déjà bien lourd en la matière[3]. Pour combattre la pratique des centrales internationales d’achat des grands distributeurs, depuis le 1er avril 2023, cette loi[4] soumet impérativement au droit français et aux tribunaux français, les relations entre le fournisseur et le distributeur lorsque les produits ou services sont commercialisés sur le territoire français.

De plus, cette loi est venue corriger un flou juridique de l’issue de la négociation commerciale. En cas d’échec de la négociation entre le fournisseur et le distributeur à l’échéance du 1er mars, la loi prévoit l’alternative suivante :

  • le fournisseur peut mettre fin à la relation commerciale avec le distributeur concerné, sans préavis et sans que celui-ci puisse invoquer une rupture brutale ; ou
  • le fournisseur peut mettre fin à la relation commerciale selon un préavis suffisant et les  « conditions économiques du marché sur lequel opèrent les deux parties ». Un médiateur peut être saisi pour aider à trouver un accord sur les conditions de ce préavis avant le 1er avril. Si aucun accord est trouvé, le fournisseur peut mettre fin à la relation, sans que le distributeur puisse lui reprocher une rupture brutale.

Toutefois, malgré cette superposition de lois, les différents objectifs ne sont pas atteints, en témoigne la crise des agriculteurs ayant touché la France au début de l’année 2024. De plus, le ministre de l’Economie a relevé que 12 % des accords contrôlés n’avaient pas été signés à la date butoir lors des négociations 2024. Le gouvernement a dès lors lancé des travaux pour améliorer la situation.

  • Egalim 4 : la solution à des problématiques insolubles ?

Rien d’officiel dans l’appellation « Egalim 4 ». Il s’agit du nom de la mission parlementaire dont l’objectif est d’envisager une réforme « légère »[5] du Titre IV du Livre IV du Code de commerce.

Cette transition législative pourra s’appuyer sur le rapport d’information relatif à la loi Descrozaille, rendu le 20 mars 2024. Plusieurs problématiques dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs ont été soulevées.

L’objectif premier de cette nouvelle loi reste de renforcer la capacité à négocier des producteurs. Pour ce faire, le président de la République a évoqué l’instauration de « prix planchers » ayant pour objectif d’assurer un minimum de revenus aux agriculteurs. Certains évoquent encore des réunions triparties lors des négociations commerciales, entre producteurs, fournisseurs et distributeurs. De même, la contractualisation et la prise en compte des coûts de production des agriculteurs pourraient être réformées en ce sens.

Deuxièmement, la loi a vocation à fluidifier la négociation commerciale, analysée comme étant de plus en plus difficile dans un contexte économique tendu entre distributeurs et fournisseurs. Certaines voix s’élèvent pour supprimer le délai butoir au 1er mars, voire pour ériger un nouveau régime à deux vitesses selon la taille des fournisseurs, comme cela a été le cas pour les négociations 2024[6].

Enfin, le nouveau dispositif doit s’assurer que le droit français est appliqué strictement. En effet, le recours aux centrales d’achat internationales trahit une volonté d’échapper au droit français. Si le dispositif législatif prévoit déjà l’applicabilité du droit français, ce sont les sanctions et leur application qui doivent être corrigées. De plus, les grossistes sont exclus du dispositif de la loi EGalim. Cette situation doit être prise en compte pour éviter que des distributeurs n’usent de cette porte de sortie pour se dérober au régime légal.

En définitive, la loi « EGalim 4 » qui s’annonce doit venir améliorer les mesures issues de la loi « EGalim 2 », sans réformer en profondeur le droit de la négociation commerciale en France. Ce n’est pas tant le dispositif qui fait débat, mais bien son application.  

Catherine Robin, avocat associé, Lucas Desmaris, élève-avocat, Alerion, Département Distribution, concurrence .


[1] Loi n°2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs & Loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

[2] Loi  n° 2018-938 du 30 octobre 2018 ; Loi  n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 ; Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 ; Loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023

[3] Pour un panorama exhaustif : https://www.alerionavocats.com/relations-fournisseurs-distributeurs-les-negociations-commerciales-a-laune-de-la-derniere-reforme-ce-qui-va-changer/

[4] Par exemple, Leclerc s’est associé à Rewe, coopérative allemande, pour créer la centrale EURELEC, installée à Bruxelles ; Système U, Edeka (distributeur allemand) et Jumbo (distributeur hollandais) forment la centrale Everest ; Carrefour est à l’origine, en Espagne, de la centrale Eureca pour l’ensemble de ses filiales européennes, etc…

[5] Les députés chargés de la mission ayant en effet expliqué que « l’idée n’est pas de réinventer tout, mais de rendre les textes plus solides. Le dispositif EGalim, tel qu’il a été pensé, répond aux attentes, mais il y a des choses à améliorer dans son application ».

[6] La loi n°2023-1041 du 17 novembre 2023 avance la date butoir des conventions annuelles au 15 janvier 2024 pour les fournisseurs au CA H.T. annuel inférieur à 350 millions et au 31 janvier pour les autres. Cette loi, répondant à l’urgence inflationniste, n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour les négociations 2024.