Relations fournisseurs – distributeurs : les négociations commerciales à l’aune de la dernière réforme. Ce qui change.

09 octobre 2023
Catherine Robin, Johanna Guerrero

La rentrée se déroule dans un contexte de hausse des prix que le ministre de l’Économie tente de contenir, en faisant savoir qu’il pourrait contraindre les opérateurs à avancer leurs négociations commerciales afin qu’elles se tiennent avant la fin de l’année civile 2023. Pour l’heure, la date butoir de celles-ci est toujours fixée au 1er mars 2024. Elles doivent tenir compte de la dernière réforme, celle mise en place par la loi n°2023-221 du 30 mars 2023, dite « loi Descrozaille » ou « Egalim 3 », pour réguler les relations entre fournisseurs et distributeurs. La réforme touche surtout les produits de grande consommation (PGC) dont le régime est durci. Elle prévoit aussi des dispositions plus générales, applicables à tous les produits.

Aperçu des principaux points de la réforme
  1. Application du code de commerce français

La commercialisation des produits sur le territoire français est désormais impérativement régie par les dispositions du code de commerce relatives à la relation commerciale (conditions générales de vente, convention unique, facturation et délais de paiement, …). aux pratiques commerciales déloyales (déséquilibre, rupture brutale…) et aux produits agricoles et denrées alimentaires. Pour sécuriser leur application, la loi les a érigées en règles d’ordre public et a conféré aux juridictions françaises une compétence exclusive pour connaitre des litiges relatifs à leur application.

Le fournisseur étranger qui entend commercialiser ses produits en France est dès lors contraint par les dispositions du code de commerce français, quand bien même il aurait choisi un droit étranger. Gageons que les réticences tout comme les difficultés seront nombreuses et que le recours à l’arbitrage, pour écarter les juridictions de droit commun, se multipliera.

  1. Modification de la structure des documents contractuels (tous produits)

La convention unique (ou l’accord-cadre) qui contient le résultat de la négociation des conditions de vente et du prix entre le fournisseur et le distributeur doit être distincte de la convention logistique. Cette dernière doit être rédigée dans une convention séparée et indépendante, qui n’est pas soumise à la date du 1er mars. Sa conclusion est une obligation, punie d’une amende administrative.

  1. Encadrement renforcé des pénalités logistiques (tous produits)

La convention logistique comporte les obligations de chacune des parties et les pénalités logistiques, « dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution de l’engagement contractuel a été constatée ». Le caractère sibyllin de la rédaction laisse envisager les difficultés d’application. La procédure de réclamation des pénalités logistiques est encadrée : envoi d’un avis de pénalité logistique accompagné de la preuve du manquement et du préjudice subi, interdiction de déduction d’office, interdiction de demander des pénalités s’agissant de manquements survenus depuis plus d’un an…

Sous peine d’amende administrative, chaque distributeur et chaque fournisseur est tenu de communiquer annuellement le montant des pénalités infligées et payées à l’administration économique qui en fait une synthèse.

  1. Durcissement de l’amende encourue en cas de non-respect de la date du 1er mars (PGC)

L’amende administrative prévue à défaut de signature d’une convention unique conforme aux textes avant le 1er mars d’un montant maximal de 375 000 euros (personne morale) est désormais fixée à 1 000 000 euros (personne morale) si elle concerne des produits de grande consommation.

  1. Retour de l’interdiction des pratiques discriminatoires et de la justification « ligne à ligne » de chaque avantage consenti (PGC)

Le délit des pratiques discriminatoires avait disparu depuis 2008 et, jusqu’à la loi Egalim 2 (Loi n°2021-1357 du 18/10/2021), seules les discriminations émanant des entreprises en position dominante étaient répréhensibles. En 2021, la loi a rétabli l’interdiction des pratiques discriminatoires s’agissant des produits alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux. Désormais, ce sont tous les produits de grande consommation (PGC) qui sont visés par l’interdiction. Dès lors, sauf à pouvoir justifier d’une contrepartie réelle, toute discrimination relative à ces produits est de nature à engager la responsabilité délictuelle de son auteur et à l’exposer à une amende civile.

Egalim 3 étend aussi aux PGC l’obligation de mentionner dans la convention unique le prix unitaire de chacune des obligations du distributeur. Cette obligation, qui avait refait son apparition en 2021, avait été cantonnée aux produits alimentaires par la loi Egalim 2. Son champ d’application s’est donc élargi aux PGC. Elle facilitera le contrôle par l’administration de l’interdiction des pratiques discriminatoires entre partenaires commerciaux similaires.

  1. Précision dans la rupture brutale et aménagement en l’absence d’accord au 1er mars (tous produits et services)

Selon une jurisprudence constante, lors du préavis qui précède la cessation effective d’une relation commerciale, chacune des parties est tenue d’exécuter ses obligations, telles qu’elles ont été prévues, de sorte que le prix ne peut être modifié. La loi Descrozaille vient bouleverser cette règle en exigeant que le prix applicable lors du préavis soit fixé en référence aux « conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ». L’objectif poursuivi est de ne pas pénaliser la partie pour laquelle l’exécution du contrat pendant le préavis est devenue économiquement pénalisante. Il reste que déterminer un prix selon les « conditions économiques du marché » n’est pas aisé. Toute décision de rompre une relation commerciale doit prendre en considération cette condition supplémentaire. A défaut, la rupture est répréhensible. Le texte apporte donc une difficulté supplémentaire pour mettre fin à une relation commerciale.

A titre expérimental pour trois ans, un mécanisme destiné à régler les problèmes en l’absence de signature de la convention unique au 1er mars a été mis en place. Dans cette situation en effet, le fournisseur, dont la hausse de prix n’avait pas été acceptée, se trouvait contraint de poursuivre les livraisons au distributeur au dernier prix accepté, pendant un délai de préavis suffisant compte tenu de l’ancienneté de la relation commerciale. A défaut, il engageait sa responsabilité pour rupture brutale.

Pour (tenter) de pallier cet inconvénient, la loi Descrozaille prévoit les solutions suivantes :

  • le fournisseur peut mettre fin à la relation commerciale avec le distributeur concerné, sans préavis et sans que celui-ci puisse invoquer une rupture brutale ; ou
  • le fournisseur peut mettre fin à la relation commerciale selon un préavis suffisant et les « conditions économiques du marché sur lequel opèrent les deux parties ». Un médiateur peut être saisi pour aider à trouver un accord sur les conditions de ce préavis avant le 1er avril. Si aucun accord est trouvé, le fournisseur peut mettre fin à la relation, sans que le distributeur puisse lui reprocher une rupture brutale.

L’équipe du département Distribution, Concurrence se tient à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller au mieux pour intégrer ce nouveau cadre règlementaire dans vos activités.

Vos contacts :

Catherine Robin, Associée

Johanna Guerrero, Avocate