Alerion Avocats dévoile le troisième épisode de sa série de podcasts « Transmission des entreprises familiales »

Nous sommes ravis de lancer le troisième épisode de notre série
« Transmission des entreprises familiales » dans « Les Podcasts d’Alerion ». Dans ce troisième épisode intitulé « Transmission des entreprises familiales : Le pacte Dutreil »

Christophe Gerschel, avocat associé en M&A et fiscalité et Julien Lebel Counsel en fiscalité vous expliquent ce qu’est le dispositif Dutreil.🚀

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Verein KlimaSeniorinnen Schweiz v. Switzerland : la condamnation de la Suisse en matière climatique, vers une responsabilisation des Etats ?

La Cour européenne des droits de l’Homme (la « Cour ») a rendu le 9 avril 2024, en Grande Chambre, un arrêt portant sur la responsabilité des Etats manquant à leurs engagements dans la lutte contre le dérèglement climatique.

L’affaire, portée par l’association KlimaSeniorinnen Schweiz, une association de femmes seniors engagées pour la protection climatique en Suisse, et par quatre de ses membres, est inédite.

En effet, les requérantes, dénonçant l’inaction du gouvernement suisse en matière de réchauffement climatique, ont demandé aux autorités[1] suisses de rendre une décision mettant en place des « actes matériels » (notion de droit suisse) afin de remédier à l’inaction climatique de l’Etat. À la suite des décisions défavorables rendues, les requérantes ont fait un recours auprès des juridictions suisses afin d’annuler les décisions attaquées.

N’ayant pas obtenu gain de cause devant les juridictions suisses, qui avaient rejeté leurs demandes en jugeant qu’elles relevaient davantage de « travaux préparatoires à l’adoption de textes législatifs et réglementaires » et que les omissions alléguées ne les touchaient pas de façon suffisamment grave et personnelle, l’association et ses quatre membres ont porté leur action devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

Les requérantes, se fondant sur les articles 6§1 (droit à un procès équitable), 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’Homme (la « Convention »), demandaient à la Cour que la Suisse soit tenue responsable de son manquement à mettre en œuvre des mesures concrètes, conformes à ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Elles se prévalaient de plusieurs instruments juridiques relatifs au droit de l’environnement, auxquels la Suisse est partie, dont les Accords de Paris, la COP28, le protocole de Kyoto et la convention d’Aarhus[2].

Avant de se prononcer sur les arguments au fond, la Grande Chambre a examiné la recevabilité de leur action au regard de l’article 34 de la Convention, portant sur le droit au recours individuel des personnes physiques et morales. Il convenait en effet, de déterminer d’une part si la qualification de victimes s’appliquait aux requérantes individuelles et d’autre part si l’association disposait de la qualité à agir ou locus standi. La Cour a reconnu la qualité à agir de l’association, mais a dénié la qualité de victime aux requérantes individuelles. Ces deux aspects de la décision méritent que l’on s’y attarde successivement.

En premier lieu, la Convention européenne des droits de l’Homme n’admet pas l’action intentée par un individu en vue de défendre un intérêt collectif (actio popularis). Pour être entendues, et conformément à l’article 34 de la Convention, les membres de l’association devaient prouver qu’elles avaient été directement et particulièrement affectées, en tant que victimes, par les manquements reprochés à la Suisse (paragraphe 487 de la décision).

Dans la décision KlimaSeniorinnen Schweiz, la Cour a énoncé deux critères fondamentaux afin de pouvoir reconnaitre la qualité de victimes à des demandeurs individuels (paragraphe 587 de la décision) : (1) une exposition intense de la personne requérante aux effets néfastes du changement climatique et (2) un besoin impérieux d’assurer sa protection individuelle. Ces critères sont stricts en ce qu’ils exigent, dans leur application, d’atteindre des seuils élevés de gravité et de caractère direct de l’atteinte.

Les membres de l’association KlimaSeniorinnen Schweiz se plaignaient notamment de problèmes de santé tels que de l’asthme, des troubles cardiaques, de faiblesse ou de perte d’énergie. Ces problèmes, qui, selon les requérantes, touchent les femmes âgées, deviennent particulièrement handicapants en cas de forte chaleur. Les demanderesses ont fourni des certificats médicaux et des exemples illustrant à quel point leur qualité de vie et leur mode de vie s’en trouvaient affectés.  Pour autant, la Cour a estimé qu’aucune d’entre elles n’avait démontré de problème de santé critique qui ne pourrait « être atténué [que] par les mesures d’adaptation disponibles en Suisse ou au moyen de mesures raisonnables d’adaptation individuelle » (paragraphe 523 de la décision). Elle refuse ainsi de leur reconnaitre la qualification de victime et de recevoir leurs demandes.

On retrouve ce raisonnement dans les affaires Carême (maire d’une commune française qui souhaitait engager la responsabilité de la France à cause du risque d’inondation de la commune) et Duarte Agostinho (enfants et jeunes adultes qui voulaient engager la responsabilité de plusieurs Etats arguant des risques accrus d’incendie à proximité de leurs habitations du fait de l’inaction climatique de ceux-ci) pour lesquelles la Cour a jugé, le même jour, que les différents demandeurs ne pouvaient être considérés comme des victimes au sens de l’article 34 de la Convention et que leurs demandes n’étaient donc pas recevables.  La Cour avait, du fait de leurs similitudes, décidé de traiter ces trois affaires au même moment.

En second lieu la question de la qualité à agir de l’association se posait également. La Grande Chambre y a apporté une réponse novatrice en admettant son action.

A cette occasion, la Cour européenne des droits de l’Homme a précisé les critères auxquels est subordonnée la recevabilité de l’action d’une association, à savoir : (1) l’association doit être légalement constituée dans la juridiction concernée; (2) la demande doit poursuivre un but conforme à ses statuts, notamment dans la défense des droits fondamentaux de ses membres – ou des individus touchés dans le pays concerné, par exemple en matière de changement climatique ; et (3)  l’association doit démontrer représenter les intérêts de ses membres (ou autres individus touchés dans le pays concerné) dont la Convention protège la vie, la santé ou le bien-être, et qui se trouvent menacés dans leurs droits.

La Grande Chambre a ajouté également sur ce point : « le droit pour une association d’agir au nom de ses adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné n’est pas subordonné à une obligation distincte d’établir que les personnes au nom desquelles l’affaire a été portée devant la Cour satisferaient elles-mêmes aux conditions d’octroi de la qualité́ de victime qui s’appliquent aux personnes physiques »[3].

La Cour européenne des droits de l’Homme a donc considéré que l’association KlimaSeniorinnen Schweiz remplissait les critères nécessaires, bien que ses adhérentes se soient vu refuser le statut de victime, et a ouvert, de manière plus générale, la possibilité pour les associations de saisir la justice en matière de dérèglement climatique.

Cette décision marque la prise de conscience par le juge européen de l’importance de la problématique du réchauffement climatique – « l’une des plus préoccupantes [questions] de notre époque.

La décision est encourageante pour les associations. Pour autant des réticences apparaissent déjà dans sa réception par les autorités. En effet, à la suite de cet arrêt, le Parlement suisse a publié une déclaration dénonçant « l’activisme judiciaire » dont fait preuve la Cour européenne des droits de l’Homme, précisant par ailleurs qu’il ne souhaitait pas donner suite à l’arrêt du 9 avril 2024[4]. Si la Suisse refusait de se conformer à la décision, le Comité des ministres, qui surveille l’exécution des arrêts par les Etats membres, pourrait lui imposer des mesures d’exécution.

Le politique, qui est responsable devant les citoyens, devra déterminer s’il met en œuvre des mesures – et lesquelles – pour se conformer aux obligations de l’Etat.

L’avenir nous dira si la Suisse – comme les autres Etats européens – sera contrainte d’adapter sa législation et ses efforts en matière de droit de l’environnement afin d’éviter d’éventuelles condamnations dans d’autres affaires.


[1] Les autorités visées sont le conseil fédéral, le département fédéral de l’environnement des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et l’Office fédéral de l’énergie (OFEN).

[2] Convention du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.

[3] Communiqué de presse de la greffière de la Cour européenne des droits de l’Homme du 9 avril 2024 :   Violations de la Convention européenne, faute de mise en œuvre de mesures suffisantes pour lutter contre le changement climatique.

[4] 24.053 | Déclaration du Conseil des Etats. Arrêt de la CEDH « Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse » | Objet | Le Parlement suisse (parlament.ch)

Dr. Friedrich NIGGEMANN examine dans un article paru dans la SchiedsVZ l‘évolution significative de la jurisprudence française dans l’application de l’ordre public

Dr. Friedrich NIGGEMANN avocat honoraire du German Desk au sein du cabinet Alerion avocats  examine dans un article paru dans la SchiedsVZ  l‘évolution significative de la jurisprudence française dans l’application de l’ordre public.

« Tournant de la jurisprudence française dans l’application de l’ordre public : la corruption dans tous ses états ».

En effet, la jurisprudence française récente sur l’application de l’ordre public international dans la reconnaissance des sentences arbitrales est riche de cas parfois spectaculaires. L’accent est mis sur les procédures dans lesquelles des allégations de corruption ont été formulées. Les tribunaux ont considérablement augmenté le niveau de contrôle des sentences arbitrales. De nouvelles soumissions de faits et de preuves sont autorisées, même dans les procédures d’annulation. Dans le même temps, des « signaux d’alerte » et des présomptions de preuves ont été utilisés pour mettre la main sur des actions souvent délibérément dissimulées. L’article présente cette évolution par rapport à la situation juridique antérieure et montre que la possibilité restreinte de présenter de nouvelles observations dans les procédures d’annulation compromet le caractère définitif de la sentence arbitrale. La méthode des « flags rouges » et les présomptions de preuve sont des outils efficaces dans les cas où les parties dissimulent souvent le véritable déroulement des événements. Cela remet en question l’appréciation des preuves par le tribunal arbitral. Mais, comme le montrent les affaires, les tribunaux étatiques peuvent même trébucher sur cette voie.

👉 Ci- dessous l’article dans son intégralité en allemand :

Les actions à droits de vote multiples dans les sociétés cotées

L’une des mesures phares de la loi n°2024-537 du 13 juin 2024, dite « loi attractivité » est de permettre aux sociétés (SA, SCA et SE) d’émettre des actions de préférence à vote multiple dans le cadre de leur introduction en bourse.

L’objectif annoncé par la loi attractivité est d’inciter les fondateurs à s’introduire en bourse tout en conservant le pouvoir dans leur société, le temps de mettre en œuvre le projet d’entreprise présenté aux investisseurs.

  • Les conditions d’émission

Le nouvel article L. 22-10-46-1 du Code de commerce, en vigueur depuis le 15 juin 2024, pose plusieurs conditions à cette émission :

  • L’émission doit être réalisée dans le cadre de la première admission aux négociations des actions de la société sur un marché règlementé ou sur un système multilatéral de négociation. Cette faculté n’est donc pas ouverte aux sociétés déjà cotées, ni à celles dont les actions ont déjà été cotées puis retirées de la cote, ou encore pour une société cotée qui changerait de marché.
  • Ces actions ne peuvent être créées qu’au bénéfice d’une ou de plusieurs personnes nommément désignées sans toutefois que soit requise une qualité particulière ou la détention d’une quotité minimale du capital.
  • Les actions de préférence sont créées pour une durée déterminée ou déterminable qui ne peut excéder 10 ans. À l’expiration de ce délai, les actions sont automatiquement converties en actions ordinaires, sauf si l’AGE décide de les renouveler (à noter que les titulaires de ces actions de préférence à vote multiple ne peuvent pas prendre part au vote, à peine de nullité). Le renouvellement ne peut intervenir qu’une seule fois et pour une durée maximale de 5 ans.

Pour les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un système multilatéral de négociation, le ratio entre les droits de vote attachés à une action de préférence et ceux attachés à une action ordinaire ne peut excéder 25 pour 1 (ce qui est très élevé).

Pour la bonne information des investisseurs, les informations relatives au nombre et à la durée des actions de préférence à vote multiple, à l’identité des bénéficiaires desdites actions, ainsi qu’aux droits de vote qui leur sont attachés devront être publiées selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.

  • La désactivation du vote plural

Dans un objectif de protection des actionnaires, l’article L. 22-10-46-1, IV dispose que ces actions de préférence à droit de vote multiple ne donne droit qu’à une voix à l’occasion du vote de certaines résolutions :

  • désignation des commissaires aux comptes ;
  • approbation des comptes annuels (et non l’affectation du résultat) ;
  • modification des statuts de la société, hors cas d’augmentation de capital (les porteurs d’actions ordinaires pourraient être dilués à la main des titulaires d’actions à droits de vote multiples) ;
  • approbation des conventions réglementées ;
  • politique de rémunération des mandataires sociaux (say on pay)

Pour ces deux derniers cas, seules les sociétés monistes sont visées… les sociétés dualistes semblent avoir été oubliées.

En outre, les statuts peuvent prévoir la désactivation du vote multiple en cas d’offre publique (i) lors de l’AG qui arrête une mesure anti-OPA prévue par les statuts ou (ii) lors de la 1ère AG suivant la clôture de l’offre publique lorsque, à l’issue de celle-ci, son auteur détient au moins les 3/4 du capital social assorti de droits de vote. Dans ce cas, les statuts doivent prévoir une indemnisation équitable des pertes enregistrées par les titulaires d’actions de préférence.

Rien n’interdit aux statuts de prévoir d’autres hypothèses de désactivation des votes multiples.

Lorsque le vote multiple est désactivé conformément aux hypothèses ci-avant, les actions de préférence peuvent se voir conférer des droits de vote double si les conditions prévues par les articles L. 225-123 et L. 22-10-46 sont satisfaites (voir ci-après sur les actions à droit de vote double).

  • L’extinction du vote plural

L’article L. 22-10-46-1 III dispose que chaque action de préférence est convertie en action ordinaire dans les cas suivants :

  • à l’arrivée du terme ;
  • en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;
  • en cas de transfert en propriété, de transfert par voie de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux ou de donation entre vifs ainsi que de changement de contrôle ou de dissolution de l’actionnaire personne morale (ce qui exclut la fusion).

Rappelons que ce mécanisme n’est pas nouveau notamment dans les SA (et SCA) où un droit de vote double peut être conféré aux actions entièrement libérées pour lesquelles il est justifié d’une inscription nominative de façon ininterrompue depuis 2 ans au moins, au nom du même actionnaire. Dans les SA non cotées, ce droit de vote double doit être prévu dans les statuts. Dans les SA dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, ce droit de vote double est de droit lorsque les conditions sont réunies, sauf clause contraire des statuts.

En principe, ce droit de vote double s’applique à l’occasion de toute assemblée mais les statuts peuvent prévoir qu’il ne s’exercera que dans certaines assemblées ou pour le vote de certaines résolutions. Les statuts peuvent également subordonner l’existence de ce droit à des conditions plus strictes que celles de l’article L. 225-123. Ces restrictions sont licites du moment qu’elles respectent l’égalité entre actionnaires.

Enfin, le droit de vote double cesse de plein droit lorsque l’action est convertie au porteur ou lorsqu’elle est transférée en propriété. En cas de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif, le droit de vote double dont bénéficie la société absorbée, la société scindée ou la société qui apporte une partie de son actif comprenant ces droits sont maintenus au profit de la société absorbante ou de la société bénéficiaire.L’une des mesures phares de la loi n°2024-537 du 13 juin 2024, dite « loi attractivité » est de permettre aux sociétés (SA, SCA et SE) d’émettre des actions de préférence à vote multiple dans le cadre de leur introduction en bourse.

L’objectif annoncé par la loi attractivité est d’inciter les fondateurs à s’introduire en bourse tout en conservant le pouvoir dans leur société, le temps de mettre en œuvre le projet d’entreprise présenté aux investisseurs.

  • Les conditions d’émission

Le nouvel article L. 22-10-46-1 du Code de commerce, en vigueur depuis le 15 juin 2024, pose plusieurs conditions à cette émission :

  • L’émission doit être réalisée dans le cadre de la première admission aux négociations des actions de la société sur un marché règlementé ou sur un système multilatéral de négociation. Cette faculté n’est donc pas ouverte aux sociétés déjà cotées, ni à celles dont les actions ont déjà été cotées puis retirées de la cote, ou encore pour une société cotée qui changerait de marché.
  • Ces actions ne peuvent être créées qu’au bénéfice d’une ou de plusieurs personnes nommément désignées sans toutefois que soit requise une qualité particulière ou la détention d’une quotité minimale du capital.
  • Les actions de préférence sont créées pour une durée déterminée ou déterminable qui ne peut excéder 10 ans. À l’expiration de ce délai, les actions sont automatiquement converties en actions ordinaires, sauf si l’AGE décide de les renouveler (à noter que les titulaires de ces actions de préférence à vote multiple ne peuvent pas prendre part au vote, à peine de nullité). Le renouvellement ne peut intervenir qu’une seule fois et pour une durée maximale de 5 ans.

Pour les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un système multilatéral de négociation, le ratio entre les droits de vote attachés à une action de préférence et ceux attachés à une action ordinaire ne peut excéder 25 pour 1 (ce qui est très élevé).

Pour la bonne information des investisseurs, les informations relatives au nombre et à la durée des actions de préférence à vote multiple, à l’identité des bénéficiaires desdites actions, ainsi qu’aux droits de vote qui leur sont attachés devront être publiées selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.

  • La désactivation du vote plural

Dans un objectif de protection des actionnaires, l’article L. 22-10-46-1, IV dispose que ces actions de préférence à droit de vote multiple ne donne droit qu’à une voix à l’occasion du vote de certaines résolutions :

  • désignation des commissaires aux comptes ;
  • approbation des comptes annuels (et non l’affectation du résultat) ;
  • modification des statuts de la société, hors cas d’augmentation de capital (les porteurs d’actions ordinaires pourraient être dilués à la main des titulaires d’actions à droits de vote multiples) ;
  • approbation des conventions réglementées ;
  • politique de rémunération des mandataires sociaux (say on pay)

Pour ces deux derniers cas, seules les sociétés monistes sont visées… les sociétés dualistes semblent avoir été oubliées.

En outre, les statuts peuvent prévoir la désactivation du vote multiple en cas d’offre publique (i) lors de l’AG qui arrête une mesure anti-OPA prévue par les statuts ou (ii) lors de la 1ère AG suivant la clôture de l’offre publique lorsque, à l’issue de celle-ci, son auteur détient au moins les 3/4 du capital social assorti de droits de vote. Dans ce cas, les statuts doivent prévoir une indemnisation équitable des pertes enregistrées par les titulaires d’actions de préférence.

Rien n’interdit aux statuts de prévoir d’autres hypothèses de désactivation des votes multiples.

Lorsque le vote multiple est désactivé conformément aux hypothèses ci-avant, les actions de préférence peuvent se voir conférer des droits de vote double si les conditions prévues par les articles L. 225-123 et L. 22-10-46 sont satisfaites (voir ci-après sur les actions à droit de vote double).

  • L’extinction du vote plural

L’article L. 22-10-46-1 III dispose que chaque action de préférence est convertie en action ordinaire dans les cas suivants :

  • à l’arrivée du terme ;
  • en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;
  • en cas de transfert en propriété, de transfert par voie de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux ou de donation entre vifs ainsi que de changement de contrôle ou de dissolution de l’actionnaire personne morale (ce qui exclut la fusion).

Rappelons que ce mécanisme n’est pas nouveau notamment dans les SA (et SCA) où un droit de vote double peut être conféré aux actions entièrement libérées pour lesquelles il est justifié d’une inscription nominative de façon ininterrompue depuis 2 ans au moins, au nom du même actionnaire. Dans les SA non cotées, ce droit de vote double doit être prévu dans les statuts. Dans les SA dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, ce droit de vote double est de droit lorsque les conditions sont réunies, sauf clause contraire des statuts.

En principe, ce droit de vote double s’applique à l’occasion de toute assemblée mais les statuts peuvent prévoir qu’il ne s’exercera que dans certaines assemblées ou pour le vote de certaines résolutions. Les statuts peuvent également subordonner l’existence de ce droit à des conditions plus strictes que celles de l’article L. 225-123. Ces restrictions sont licites du moment qu’elles respectent l’égalité entre actionnaires.

Enfin, le droit de vote double cesse de plein droit lorsque l’action est convertie au porteur ou lorsqu’elle est transférée en propriété. En cas de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif, le droit de vote double dont bénéficie la société absorbée, la société scindée ou la société qui apporte une partie de son actif comprenant ces droits sont maintenus au profit de la société absorbante ou de la société bénéficiaire.

Actualités de la responsabilité des constructeurs et de l’assurance construction

  • L’application des garanties dommages-ouvrage et décennale obligatoires aux dommages aux existants…Attention aux conditions (Civ.3ème, 30 mai 2024, n°22-20.711)

Prenant acte du resserrement du champ des assurances obligatoires introduit par l’ordonnance n°2005-658 du 8 juin 2005 à l’article L.243-1-1 du Code des assurances, la Cour de cassation vient rappeler que ces garanties obligatoires ne peuvent être mobilisées pour les dommages causés aux existants par un ouvrage neuf, que sous deux conditions cumulatives : (i) une incorporation totale de l’existant dans la construction d’un ouvrage neuf et (ii) une indivisibilité technique des deux ouvrages (Civ.3ème, 30 mai 2024, n°22-20.711). S’agissant de la première condition, l’ouvrage neuf doit constituer l’ouvrage dominant : s’il s’incorpore dans la partie existante qui reste dominante, les garanties obligatoires ne pourront être mobilisées. Pour ce qui est de la seconde condition, le juge ne peut, de la même façon, se contenter d’énoncer que l’ouvrage neuf et l’ouvrage existant forment un tout indivisible : il doit caractériser en quoi, d’un point de vue technique, ils ne peuvent être considérés comme des ouvrages distincts. Le cas d’espèce concernait la pose de nouvelles tuiles sur une charpente existante et ayant endommagé celle-ci. Aucune des deux conditions n’étant rempli, l’arrêt d’appel est cassé et la garantie d’assurance décennale obligatoire du couvreur écartée…ce qui n’exclut pas pour autant sa responsabilité décennale, laquelle était bien engagée de plein droit sur le fondement de l’article 1792 du Code civil pour les dommages aux existants et les dommages immatériels consécutifs. Ou de l’intérêt de souscrire une garantie facultative des dommages aux existants…

  • La démolition-reconstruction ne caractérise pas nécessairement un dommage de nature décennale (Civ. 3ème, 6 juin 2024, n°23-11.336)

La Cour de cassation avait déjà jugé que les défauts de conformité affectant un immeuble n’entraient pas, en l’absence de désordre, dans le champ d’application de la responsabilité décennale de l’article 1792 du Code civil (notamment Civ.3ème, 20 novembre 1991, n°89-14.867). Elle vient préciser, aux termes d’une décision rendue le 6 juin 2024, qu’il en est également ainsi, quand bien même la démolition-reconstruction de l’ouvrage serait retenue pour réparer ces non-conformités et mettre l’ouvrage en conformité avec les prévisions contractuelles (Civ. 3ème, 6 juin 2024, n°23-11.336). Autrement exprimé : la solution réparatoire ne caractérise pas la nature décennale du désordre. Pour justifier la mise en jeu de la garantie d’assurance dommages-ouvrage ou décennale obligatoire, il importe que la non-conformité contractuelle porte atteinte en elle-même à la solidité de l’ouvrage ou à sa destination ; ce qui est le cas notamment lorsque le maître de l’ouvrage est exposé à un risque de démolition à la demande d’un tiers, mais ce qui n’est pas le cas lorsque cette démolition est exclusivement retenue pour réparer la non-conformité.

  • Point de départ du délai de prescription quinquennal de l’article 2224 du Code civil : distinction entre l’action en réparation d’un dommage propre dépendant du sort d’une procédure contentieuse et l’action récursoire à l’encontre d’un co-responsable (Ch. Mixte, 19 juillet 2024, n°22-18.729 et 20-23.527)

Par deux arrêts du même jour, rendus en matière fiscale mais transposable en matière de construction, la chambre mixte de la Cour de cassation est venue clarifier le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en responsabilité exercée sur le fondement de l’article 2224 du Code civil, qui dispose que l’action se prescrit par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Selon la Cour, il se déduit de l’article 2224 du Code civil que « le délai de prescription de l’action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien causal entre le dommage et le fait générateur » ; ce qui conduit la Cour à opérer une distinction entre (i) l’action en réparation d’un dommage propre dont l’existence dépend de l’issue d’une procédure contentieuse opposant le demandeur à un tiers, et (ii) l’action récursoire à l’encontre d’un co-responsable.

Pour la première (l’action en réparation d’un dommage propre dont l’existence dépend de l’issue d’une procédure contentieuse), le dommage ne se manifestant qu’au jour où le demandeur est condamné par une décision passée en force de chose jugée ou devenue irrévocable, la prescription de son action en réparation du dommage ne court qu’à compter de cette décision.

Pour la seconde en revanche, « la prescription applicable au recours d’une personne assignée en responsabilité contre un tiers qu’il estime co-auteur du même dommage a pour point de départ l’assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit », « sauf si elle établit qu’elle n’était pas, à cette date, en mesure d’identifier ce responsable ». Tel est le cas par exemple du recours d’un constructeur, assigné en responsabilité par le maître de l’ouvrage, contre un autre constructeur ou son sous-traitant (Civ.3ème, 14 décembre 2022, n°21-21.305). Et la Cour de cassation de rappeler également la solution identique retenue pour la prescription biennale de l’action récursoire en garantie des vices cachés qui court à compter de l’assignation (Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n°20-10.763 et n°20-19.936).

L’objectif affiché de ces solutions et de cette clarification est d’assurer un juste équilibre entre les intérêts respectifs des parties et de contribuer à une bonne administration de la justice, en limitant pour la première action, les procédures prématurées ou injustifiées, et en favorisant pour la seconde, la possibilité d’un traitement procédural du contentieux engagé par la victime, dans une même instance.

Les premiers pas du devoir de vigilance appliqué aux contentieux climatiques

La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 a instauré, en France, un devoir dit de « vigilance » s’imposant aux plus grandes entreprises en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Le régime codifié aux articles L. 225-102-4 et 5 du Code de commerce, impose aux sociétés employant au moins 5 000 salariés en France – maison mère et filiales confondues – ou 10 000 salariés dans le monde, notamment, d’établir et mettre en œuvre un « plan de vigilance ». Le non-respect de ces obligations est susceptible d’engager la responsabilité des sociétés en cause.

L’Union européenne s’inspire de cette loi pour l’élaboration d’une directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de développement durable[1]. Cette directive est en cours de négociation entre les Etats membres après l’adoption par le Parlement européen du projet de directive le 1er juin 2023[2]. Ce devoir de vigilance peut fournir un support aux actions climatiques alors que la montée en puissance des contentieux climatiques en France et dans le monde illustre la mobilisation de la société civile. L’Observatoire Alerion des Contentieux Climatiques analyse les premières décisions du juge français sur le devoir de vigilance qui, à ce stade, portent sur des questions procédurales et préliminaires.

1. Compétence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris

Jusqu’à l’adoption de la loi n° 2021-1729 le 22 décembre 2021 qui a attribué une compétence exclusive au Tribunal judiciaire de Paris pour toutes les actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les nouveaux articles du Code de commerce, la compétence des tribunaux judiciaires se heurtait à la compétence des tribunaux de commerce, le forum naturel de la vie des affaires.

Dans l’affaire TotalEnergies SE, le Tribunal judiciaire de Nanterre, s’était déclaré à raison incompétent au profit du Tribunal de commerce au motif que l’élaboration du plan de vigilance et sa mise en œuvre font partie intégrante de la gestion de la société[3]. La Cour d’appel de Versailles avait approuvé l’approche retenue par les premiers juges et rejeté la qualification d’acte mixte[4], qualification qui aurait permis un choix entre les juridictions civiles et commerciales. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en déclarant que « le demandeur non commerçant qui entend agir à cette fin dispose, toutefois, en ce cas, du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce ». Toutefois, la Haute juridiction a confirmé la position des juges de première instance en considérant que « l’établissement et la mise en œuvre d’un tel plan présentent un lien direct avec la gestion de cette société ».

Le législateur a tranché définitivement la question de la compétence en octroyant une compétence exclusive au Tribunal judiciaire de Paris[5].

2. Les limites de l’action en référé

L’article L. 225-102-4 du Code de commerce permet au demandeur d’intenter soit une action en référé soit une action au fond pour que la société ayant manqué à ses obligations soit enjointe de les respecter.

Dans l’affaire Total – Ouganda, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris s’est interrogé sur le point de savoir si l’action en référé était adaptée pour contrôler le respect de l’obligation d’émettre un plan de vigilance en matière de droits humains et libertés fondamentales, de santé et sécurité des personnes ainsi que d’environnement[6].

Après avoir jugé les demandeurs irrecevables pour défaut de mise en demeure préalable, le juge des référés a exprimé, dans un obiter dictum bienvenu, des réserves quant à la possibilité pour le juge de l’évidence de contrôler l’émission d’un plan de vigilance. La juridiction des référés a ainsi précisé que « les griefs et les manquements reprochés à la société TotalEnergies SE du chef de son devoir de vigilance, au cas présent, doivent faire l’objet d’un examen en profondeur des éléments de la cause excédant les pouvoirs du juge des référés ».

Cette solution précise le cadre procédural dans lequel pourra s’exercer l’action fondée sur le devoir de vigilance. Elle révèle ainsi les difficultés auxquelles les demandeurs feront face en saisissant le juge des référés dès lors que l’objet du litige porte sur la conformité du plan de vigilance et non sa simple publication par la société en cause. Un observateur suggère que les demandeurs pourraient, tout à la fois, présenter une demande au fond portant sur la conformité du plan de vigilance d’une société et une demande en référé visant à suspendre les mesures prises par la société[7].  

3. L’exigence d’une mise en demeure

L’article L. 225-102-4, II du Code de commerce prévoit, avant la saisine du juge, que la société en cause soit mise en demeure d’exécuter ses obligations au titre de son devoir de vigilance.

« II.-Lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. »

En l’absence d’un décret d’application précisant certains aspects du contentieux relatif au devoir de vigilance, le Tribunal judiciaire de Paris a établi des exigences, exposées ci-dessous, sur cette mise en demeure dans les affaires Total – Ouganda[8]Total – Climat[9]Suez[10] et EDF[11].

Préalable obligatoire

En premier lieu, la mise en demeure est appréciée comme un préalable obligatoire à toute saisine du juge. A défaut de mise en demeure préalable, la demande des requérants est irrecevable. Dans l’affaire EDF, le Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Paris a précisé que cette condition vise à instaurer un dialogue entre les requérants et la société visée, afin qu’elle puisse prendre en compte les remarques à l’égard de son plan de vigilance et le faire évoluer en conséquence[12].

Identité d’objet entre la mise en demeure et l’assignation

En deuxième lieu, la mise en demeure et l’assignation doivent avoir le même objet. Ainsi, l’assignation doit viser les mêmes griefs soulevés par la mise en demeure et notamment le même plan de vigilance.

Par exemple dans l’affaire Total-Ouganda[13], les demandeurs avaient mentionné dans leur assignation, la versions la plus récente du plan de vigilance correspondant à l’année 2021, alors que les mises en demeure portaient sur une version antérieure correspondant à l’année 2019. Cela a conduit le Juge de la mise en état à conclure que le défendeur n’avait pas été mis en demeure au regard du plan de vigilance faisant l’objet de sa saisine.

Le caractère complet de la mise en demeure

En troisième lieu, la mise en demeure doit être suffisamment spécifique quant à l’objet des griefs qui sont reprochés à la société en cause. Dans l’affaire Total-Climat[14], le Juge de la mise en état a considéré que la mise en demeure adressée par les demandeurs était imprécise en ce qu’elle enjoignait à Total Energies une liste de mesures « sans préjudice d’autres mesures qui pourront être identifiées ». Ainsi, pour être conformes, les mises en demeures doivent être suffisamment précises sur les griefs en cause pour servir de base à une discussion entre les parties prenantes avant la saisine du tribunal.

4. L’articulation entre l’article 1252 du Code civil et l’article L. 225-102-4 du Code de commerce

L’article 1252 du Code civil prévoit la possibilité de demander au juge français de prescrire des mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage en matière écologique. La question s’est donc posée de l’articulation entre ce texte et l’article L. 225-102-4 du Code de commerce qui permet au juge d’enjoindre une société à respecter ses obligations dans le cadre du devoir de vigilance.

Dans l’affaire Total – Climat[15], le Tribunal judiciaire a été saisi de deux demandes, une fondée sur l’article L. 225-102-4 du Code de commerce visant à obtenir une injonction pour que Total Energies publie son plan de vigilance, et, une autre fondée sur l’article 1252 du Code civil visant à « publier et mettre en œuvre » des actions pour la réduction d’émissions de gaz à effet de serre.

Total Energies a soulevé un incident relatif à la recevabilité de la demande fondée sur l’article 1252 du Code civil. Reprenant l’argumentation du défendeur, le Juge de la mise en état a déclaré la demande irrecevable en considérant que les deux demandes poursuivaient le même objet, et qu’en se fondant sur l’article 1252 du Code civil les demandeurs tentaient de contourner l’obligation de mise en demeure prévue à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce. Qualifiant les dispositions du Code de commerce de « spéciales », le juge relève qu’elles dérogent aux dispositions d’ordre général du Code civil.

Cette solution est contestée par certains auteurs qui s’interrogent sur l’application exclusive de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce à la question du devoir du vigilance, notamment en raison de la référence de l’article L.225-102-5 du même code aux articles 1240 et 1241 du Code civil concernant le préjudice écologique[16].

En tout état de cause, à suivre la décision du Juge de la mise en état dans l’affaire Total Energies, il n’est pas possible de se fonder sur l’article 1252 du Code civil pour veiller au respect du devoir de vigilance.

5. La qualité à agir des défendeurs

Selon l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, la responsabilité de l’établissement du plan de vigilance incombe à la société mère du groupe, les filiales contrôlées au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce en sont exemptes. L’obligation repose donc sur la société mère même si les filiales peuvent de leur propre gré mettre en place un plan de vigilance. En conséquence, seulement la société mère ou la société à l’origine d’un plan ce vigilance déterminé peuvent être attraites en justice.

Dans l’affaire Suez[17], la défenderesse, une filiale du groupe Suez, alléguait qu’elle n’avait pas édicté le plan de vigilance en cause et que celui-ci avait été élaboré par son actionnaire unique. Le Juge de la mise en état, ayant constaté que le plan de vigilance ne mentionnait pas précisément quelle société du groupe Suez était à son origine, a considéré que « la qualité à défendre de la [filiale] (…) n’est pas établie ».

Il en ressort, qu’il doit y avoir une identité entre la société émettrice du plan de vigilance objet de l’assignation et la société qui est assignée.

6. L’intérêt à agir des demandeurs

Le moyen tenant à l’irrecevabilité des demandes en raison du manque d’intérêt à agir des associations et collectivité territoriales requérantes a été soulevé à plusieurs reprises. Si dans certaines affaires, le juge n’a pas statué sur ce moyen, dans l’affaire Total – Climat[18], le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a précisé – à nouveau dans un obiter dictum – que certains demandeurs ne justifiaient pas d’un intérêt à agir.

Le juge parisien s’est référé à l’article 1248 du Code civil – spécifique à la réparation du préjudice écologique – pour interpréter les termes « toute personne justifiant d’un intérêt à agir » de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce.

L’article 1248 du Code civil détermine les catégories de personnes qui peuvent déclencher une action en réparation du préjudice écologique, à savoir: « l’Etat, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement ».

Ainsi, le Juge de la mise en état a déclaré irrecevables les demandes de certaines associations n’ayant pas été créées ou agréées depuis cinq ans. De même, il a jugé irrecevables les demandes de certaines collectivités territoriales – dont les villes de Paris et New York – en considérant qu’elles peuvent seulement agir « lorsque leur territoire est concerné par le préjudice écologique ».

*           *           *

Ces premières décisions concernant la juridiction compétente, les exigences liées à la mise en demeure préalable, ainsi que la qualité et l’intérêt à agir des parties prenantes, sont venues apporter des précisions bienvenues sur les conditions de l’action. Ces débats portant sur des questions formelles mettent en lumière la complexité des questions de fond que le juge devra résoudre.

TABLEAU DES PRINCIPALES AFFAIRES PORTANT SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE

Décisions judiciaires

  • Tribunal judiciaire Nanterre, ord., 30 janvier 2020, n° 19/02833, TotalEnergies SE
  • Versailles, 10 décembre 2020, n° 20/01692, TotalEnergies SE
  • Cass. com., 15 décembre 2021, n° 21/11.882, TotalEnergies SE
  • Tribunal judiciaire Paris, 30 novembre 2021, n° 20/10246, EDF
  • Paris, Pôle 5, ch. 11, 17 mars 2023, n° 22/00749, EDF
  • Tribunal judiciaire Paris, 1er juin 2023, n° 22/07100, SUEZ SA
  • Tribunal judiciaire Paris, 28 février 2023, n° 22/53942 et n° 22/53943, TotalEnergies SE (Total – Ouganda)
  • Tribunal judiciaire Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, TotalEnergies SE (Total – Climat)

Affaires en cours devant le Tribunal judiciaire de Paris

  • Tribunal judiciaire Paris, assignation du 23 mars 2022, YVES ROCHER
  • Tribunal judiciaire Paris, assignation du 22 décembre 2021, GROUPE LA POSTE
  • Tribunal judiciaire Paris, assignation du 3 mars 2021, CASINO
  • Tribunal judiciaire Paris, assignation du 29 juillet 2022, IDEMIA

Mises en demeure

  • La société TELEPERFORMANCE a été mise en demeure le 18 juillet 2019
  • La société XPO LOGISTICS a été mise en demeure le 1er octobre 2019
  • La société TOTALENERGIE a été mise en demeure le 14 mars 2022
  • La société MCDONALD’S a été mise en demeure le 30 mars 2022
  • Les sociétés Danone, Auchan, Carrefour, Casino, Lactalis, Les Mousquetaires, Picard Surgelés, Nestlé France et McDonald’s France ont été mises en demeure le 28 septembre 2022
  • La société BNP PARIBAS a été mise en demeure le 17 octobre 2022
  • La société BNP PARIBAS a été mise en demeure le 26 octobre 2022

  • [1]            Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937, 23 février 2022.
  • [2]        Amendements(1) du Parlement européen, adoptés le 1er juin 2023, à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937.
  • [3]        Tribunal judiciaire Nanterre, ord., 30 janvier 2020, n° 19/02833, TotalEnergies SE.
  • [4]        R. Dumont, « Devoir de vigilance des sociétés mères et compétence des tribunaux : la Cour de cassation et le législateur rendent concomitamment deux solutions différentes », Recueil Dalloz, Dalloz, 2022, p. 826.
  • [5]        L’article L. 211-21 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « le tribunal judiciaire de Paris connaît des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce ».
  • [6]        Tribunal judiciaire Paris, 28 février 2023, n° 22/53942 et n° 22/53943, TotalEnergies SE (Total – Ouganda).
  • [7]        A. Lecourt, « Nouvelles précisions sur l’action en responsabilité découlant du manquement à la vigilance climatique », RTD com, Dalloz, 2023, p. 369
  • [8]        Tribunal judiciaire Paris, 28 février 2023, n° 22/53942 et n° 22/53943, TotalEnergies SE (Total – Ouganda).
  • [9]        Tribunal judiciaire Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, TotalEnergies SE (Total – Climat).
  • [10]       Tribunal judiciaire Paris, 1er juin 2023, n° 22/07100, SUEZ SA.
  • [11]       Tribunal judiciaire Paris, 30 novembre 2021, n° 20/10246, EDF.
  • [12]       Tribunal judiciaire Paris, 30 novembre 2021, n° 20/10246, EDF.
  • [13]       Tribunal judiciaire Paris, 28 février 2023, n° 22/53942 et n° 22/53943, TotalEnergies SE (Total – Ouganda).
  • [14]       Tribunal judiciaire Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, TotalEnergies SE (Total – Climat).
  • [15]       Tribunal judiciaire Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, TotalEnergies SE (Total – Climat).
  • [16]       J.-B. Barbièri, « Devoir de vigilance, la porte se referme », Dalloz actualité, Dalloz, 13 juillet 2023
  • [17]       Tribunal judiciaire Paris, 1er juin 2023, n° 22/07100, SUEZ SA.
  • [18]       Tribunal judiciaire Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, TotalEnergies SE (Total – Climat).

Le préjudice écologique dans le contentieux climatique

Une actualité récente en France est revenue préciser les contours du préjudice écologique dans le contentieux climatique. En effet, le 29 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a rendu une décision marquante dans l’affaire Justice pour le vivant en condamnant l’État français pour ne pas avoir respecté ses propres objectifs en matière de pesticides[1]. Le Tribunal a caractérisé le préjudice écologique en raison d’une « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable » des eaux et des sols suite à l’utilisation de pesticides ce qui l’a conduit à enjoindre l’Etat de prendre les mesures afin de réparer ce préjudice avant le 30 juin 2024. En écho avec l’Affaire du Siècle[2], le juge administratif a retenu la même définition du préjudice écologique que celle prévue dans l’article 1247 du Code civil, consistant en une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » afin d’établir la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique.

Cette convergence entre les régimes de responsabilité civile et administrative en matière de dommages causés à l’environnement place la notion de préjudice écologique au centre du contentieux climatique.

La consécration de la notion de préjudice écologique en France

Si la notion de préjudice écologique a initialement été impulsée par le juge judiciaire, elle a rapidement été consacrée par le législateur dans le Code civil avant d’être reprise par le juge administratif.

Le préjudice écologique a été reconnu pour la première fois en France à la suite du naufrage du pétrolier Erika en 1999 au large de la Bretagne. Ce sinistre a provoqué une pollution majeure du littoral atlantique, ce qui a suscité une prise de conscience de l’importance des dommages causés à l’environnement. Par une décision rendue le 16 janvier 2008, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné les responsables de la pollution à réparer le « préjudice résultant de l’atteinte à l’environnement », au-delà des dommages matériels et moraux[3]. Cette décision a ensuite été confirmée par la Cour d’appel de Paris le 30 mars 2010, qui a précisé et consacré la notion de « préjudice écologique »[4]. La Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel par un arrêt du 25 septembre 2012 en définissant le préjudice comme une « atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement, sans répercussion sur un intérêt humain particulier mais affectant un intérêt collectif légitime »[5].

Le législateur français a introduit le concept de préjudice écologique dans le Code civil par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Cette loi a apporté des modifications substantielles au Code civil afin de mieux prendre en compte les enjeux environnementaux en introduisant les articles 1246 à 1252 qui sont notamment dédiés à la question de la réparation du préjudice écologique. Toutefois, les conditions de responsabilité de l’auteur du préjudice écologique relèvent du droit commun, notamment de l’article 1240 du Code civil.

Parallèlement, le législateur a transposé par la loi du 1er août 2008 la Directive Européenne 2004/35 du 21 avril 2004 relative à la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Cette loi a inscrit dans les articles L. 160-1 et suivants du Code de l’environnement un régime de responsabilité administrative. Cependant, ce régime est limité aux dommages environnementaux, excluant la réparation des conséquences subjectives du dommage environnemental qui correspondent à la notion de préjudice écologique.

Par une série de décisions récentes, le juge administratif a étendu l’applicabilité des dispositions insérées dans le Code civil concernant le préjudice écologique au régime de la responsabilité administrative.

Tout d’abord, le 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a rendu un jugement dans l’Affaire du siècle[6] reconnaissant l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique, notamment en application des articles 1246 et suivants du Code civil. Il a considéré que la carence partielle de l’État français dans la réalisation de ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre engageait sa responsabilité. Cependant, le tribunal a rejeté les demandes de réparation pécuniaire du préjudice écologique formulées par les associations requérantes.

Par la suite, le Conseil d’État a rendu deux décisions le 1er juillet 2021[7] et le 10 mai 2023[8], enjoignant au Premier ministre et aux ministères chargés de la transition écologique de prendre les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre conformément aux engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Ces décisions sont intervenues dans l’affaire Commune de Grande-Synthe qui a ainsi donné lieu à plusieurs décisions importantes. Le 1er juillet 2021, le Conseil d’Etat avait enjoint l’Etat de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 d’ici le 31 mars 2022. Le 10 mai 2023, la Haute juridiction administrative a ordonné à l’Etat de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024 et de transmettre un rapport dès le 31 décembre 2023 relatif aux mesures prises afin d’atteindre l’objectif fixé en 2021.

Le récent jugement du Tribunal administratif de Paris dans l’affaire Justice pour le vivant[9] s’inscrit dans cette jurisprudence. En effet, le juge administratif a enjoint l’Etat de prendre, d’une part, les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique relatif aux contaminations et de réparer, d’autre part, le préjudice moral des associations intervenantes à hauteur d’un euro symbolique.

La réparation du préjudice écologique en France

La question de la réparation du préjudice écologique est au cœur du contentieux climatique.

L’article 1246 du Code civil dispose que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Quant à l’article 1247, il précise que le préjudice écologique réparable correspond à « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Considérant qu’il s’agit d’un régime dérogatoire, l’importance de l’atteinte est un élément central. C’est ainsi que seuls les dommages importants causés à l’environnement du fait de certaines activités pourront conduire à l’application de ce régime. L’expression « atteinte non négligeable » devra être interprétée par le juge.

Selon l’article 1248 du Code civil, toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les associations de protection de l’environnement, peut demander réparation.

La réparation du préjudice écologique doit, en principe, s’effectuer prioritairement en nature aux termes du premier alinéa de l’article 1249 du Code civil. Cela signifie que des mesures de réparation concrètes doivent être prises pour restaurer l’environnement endommagé. Si cela s’avère impossible ou insuffisant, le juge peut ordonner au responsable de verser des dommages-intérêts au titre des alinéas 2 et 3 de l’article 1249 du Code civil, qui seront utilisés pour la réparation de l’environnement selon le principe du pollueur-payeur établi aux articles L. 610-1 et suivants du Code de l’environnement. L’évaluation du préjudice tient compte des mesures de réparation déjà réalisées.

Progressivement, la Cour de cassation a élaboré les règles applicables à la réparation du préjudice écologique. C’est ainsi que plusieurs décisions de la Haute Cour sont venues confirmer le droit des juges de recourir à l’expertise afin de chiffrer le préjudice qui aura été reconnu[10].

Certaines affaires antérieures aux lois de 2008 en matière de dommages environnementaux ont donné lieu à des réparations en dommages-intérêts. Par exemple, dans l’affaire de l’Erika, le groupe pétrolier responsable de la marée noire a été condamné à payer des réparations civiles pour la pollution du milieu marin et du littoral. De même, dans l’affaire Braconniers des Calanques[11], la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné, le 29 juin 2021, les braconniers à verser des dommages et intérêts pour préjudice écologique résultant du prélèvement d’importantes quantités d’oursins, mérous et poissons, dans des zones protégées et interdites à la pêche.

Dans l’Affaire du Siècle, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de réparation pécuniaire du préjudice écologique. Il a souligné que la réparation devait se faire prioritairement en nature, et que les dommages et intérêts ne seraient accordés qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation.

Cependant, les associations requérantes de l’Affaire du Siècle ont déposé une nouvelle demande le 14 juin 2023. Elles demandent au juge administratif de condamner l’État à verser une astreinte financière de 1.1 milliard d’euros correspondant aux 9 semestres de retard pour le contraindre à agir efficacement face à l’enjeu climatique. L’évaluation du préjudice écologique sera au centre du débat, et si le juge fait droit à cette demande, il devra déterminer le montant approprié en se basant sur des méthodes d’évaluation telles que la méthode Quinet, aussi appelée la valeur de l’action pour le climat[12].

Stimulées par l’introduction du devoir de vigilance découlant de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, de nombreuses actions similaires à celle de l’Affaire du Siècle, mais dirigées contre les entreprises privées, ont été engagées. En effet, cette loi impose aux entreprises qui répondent à certains seuils de mettre en place un plan, notamment régi par l’article L.225-102-4 du Code de commerce, définissant des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle », ainsi que de ses sous-traitants et fournisseurs habituels.

L’enjeu de ces contentieux est important dans la mesure où, si le manquement aux obligations imposées par cette loi est établi, la responsabilité de son auteur est engagée et il est obligé de « réparer le préjudice que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter »[13].

Le domaine de la réparation est assez vaste et donnera sans doute lieu à un contentieux fourni.

Toutefois, à ce stade, si au moins une dizaine d’entreprises françaises seraient déjà concernées par des actions sur ce fondement, aucune sanction n’a encore été prononcée. De plus, dans l’affaire TotalEnergies, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision concernant l’irrecevabilité des demandes des ONG dans le cadre de la loi de vigilance, tout en précisant, par une analyse approfondie, que la loi sur le devoir de vigilance utilisait des notions vagues, rendant ainsi sa mise en œuvre par le juge difficile[14].

Conclusion

En conclusion, le préjudice écologique joue un rôle essentiel dans le contentieux climatique en France. Les décisions judiciaires récentes reconnaissant le préjudice écologique lié au changement climatique et mettant en cause la responsabilité des acteurs concernés contribuent à sensibiliser davantage à l’urgence de la protection de l’environnement. Cependant, la question de la réparation pécuniaire du préjudice écologique demeure encore à clarifier. Le contentieux climatique et l’utilisation du préjudice écologique comme argument juridique contribuent à mettre en lumière les conséquences graves du changement climatique sur l’environnement et à pousser les acteurs à agir de manière plus responsable en matière de protection de l’environnement.


[1]      Tribunal administratif de Paris, 29 juin 2023, n° 2200534/4-1, Justice pour le vivant.

[2]      Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021 et 14 octobre 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1, Affaire du siècle.

[3]      Tribunal correctionnel de Paris, 16 juin 2008, n° 9934895010, Erika.

[4]      Cour d’appel de Paris, pôle 4, 11e chambre, 30 mars 2010, n° 08/02278, Erika.

[5]      Cour de cassation, chambre criminelle, 25 septembre 2012, n° 10-82.938, Erika.

[6]      Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1, Affaire du siècle.

[7]      Conseil d’Etat, 1er juillet 2021, n° 427301, Commune de Grande-Synthe et autres.

[8]      Conseil d’Etat, 10 mai 2023, n° 467982, Commune de Grande-Synthe et autres.

[9]      Tribunal administratif de Paris, 29 juin 2023, n° 2200534/4-1, Justice pour le vivant.

[10]     Cour de cassation, chambre criminelle, 13 novembre 2013, n° 12-84.430 ; Cour de cassation, chambre criminelle, 22 mars 2016, n° 13-87.650.

[11]     Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 29 juin 2021, n°20/01931, Braconniers des Calanques.

[12]     « L’affaire du Siècle : 4 ans de procédures pour que l’Etat réponde à l’urgence climatique », Dossier de presse, 23 juin 2023, consulté le 18 juillet 2023.

[13]      Article L225-102-5 du Code de commerce.

[14]     Tribunal judiciaire de Paris, 28 février 2023, n° 22/53942, Total Energies ; Tribunal judiciaire de Paris, 28 février 2023, n° 22/53943, TotalEnergies. Voir également Tribunal judiciaire de Paris, 1er juin 2023, n° 22/07100, Suez Groupe ; Tribunal judiciaire de Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, Total Energies.

Nouvelle sanction pour l’Etat pour non-respect des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant les concentrations de l’air en particules fines et en dioxyde d’azote : 3ème astreinte.

Statuant sur un recours présenté par l’association les Amis de la Terre, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 12 juillet 20217 n°12-072017, avait considéré que « Les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive sont annulées » et avait ainsi enjoint  « au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de la présente décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ».


L’Etat n’ayant pas répondu à l’injonction du Conseil d’Etat, ce dernier a, par arrêt du 10 juillet 2020, prononcé une astreinte à l’encontre de l’Etat « s’il ne justifie pas avoir, dans les six mois suivant la notification de la présente décision, exécuté la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017, pour chacune des zones énumérées au point 11 des motifs de la présente décision, et jusqu’à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 10 millions d’euros par semestre, à compter de l’expiration du délai de six mois suivant la notification de la présente décision ».

Par arrêt du 4 août 2021, le Conseil d’Etat a constaté qu’en dépit des mesures prises par le gouvernement pour améliorer la qualité de l’air dans plusieurs zones de France, celles-ci demeurent insuffisantes. Le Conseil d’Etat a donc décidé de liquider l’astreinte de 10 M€ prononcée contre l’Etat, au titre du premier semestre de l’année 2021 et de la répartir entre l’association requérante, les Amis de la Terre, à l’instance initiale et d’autres organismes à but non lucratif.

L’astreinte a été liquidée par le Conseil d’Etat une seconde fois par un arrêt du 17 octobre 2022 à la somme de 20 millions d’euros pour les deux semestres de la période du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022.Par un arrêt du 24 novembre 2023 n°428409 A, le Conseil d’État a constaté qu’il n’y avait plus de dépassement du seuil de pollution pour les particules fines dans aucune zone urbaine et que les seuils de dioxyde d’azote étaient désormais respectés dans les zones urbaines de Toulouse et Aix-Marseille, mais restent dépassés de manière significative dans celles de Paris et Lyon, où les mesures déjà prises ou à venir ne permettront pas de descendre en dessous des seuils limites dans les délais les plus courts possibles. Compte tenu de la persistance de la pollution dans ces deux zones mais également des améliorations constatées, le Conseil d’État a condamné l’État au paiement de deux astreintes de 5 millions d’euros pour les deux semestres allant de juillet 2022 à juillet 2023, en divisant par deux le montant de l’astreinte prononcée par semestre compte tenu des efforts réalisés par l’Etat.

Le Conseil d’Etat réexaminera en 2024 les actions menées par l’Etat sur la période juillet 2023-janvier 2024

Entrée en vigueur de la directive sur le reporting de durabilité CSRD

L’Union européenne a adopté la directive sur le reporting des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD) afin d’établir une nouvelle référence en matière de reporting non financier[1]. La France est devenue le premier État membre de l’UE à transposer la CSRD en droit national par l’ordonnance n° 2023-1142, publiée le 6 décembre 2023.

La CSRD constitue une avancée importante par rapport à la précédente directive, la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), qui avait été adaptée en France pour devenir la directive de performance extra-financière (DPEF).

La CSRD vise à améliorer la transparence et la cohérence du reporting en matière de durabilité dans l’UE en élargissant l’obligation à un plus grand nombre d’entreprises. Ces mesures devraient permettre de mieux comprendre l’impact d’une entreprise sur la société et l’environnement.

La mise en œuvre de la CSRD sera progressive à partir du 1er janvier 2024. L’obligation de reporting concernera d’abord les entreprises qui relèvent déjà de la NFRD, avant d’être applicable à un plus grand nombre d’entreprises, comme illustré ci-dessous :

  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2024, seront concernées les grandes entreprises de l’UE déjà soumises à la NFRD, répondant aux critères suivants : >500 salariés ou >40 millions d’euros de chiffre d’affaires net et/ou >€20M de total de bilan.
  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2025, seront concernées les entreprises qui ne sont pas actuellement soumises au NFRD et qui remplissent au moins deux des critères suivants : >250 salariés, >€40M de chiffre d’affaires net et >€20M de total de bilan.
  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2026 avec possibilité de reporter de deux ans, seront concernées les petites et moyennes entreprises cotées en bourse, à l’exception des microentreprises qui sont des entreprises avec <€700K de chiffre d’affaires net, <€250K de total de bilan et 10 salariés au cours de l’exercice.
  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2028, seront concernées les entreprises non européennes ayant une grande filiale établie dans l’UE ou une filiale PME cotée en bourse ayant >€150M de chiffre d’affaires net pour chacun des deux derniers exercices consécutifs ; ou ayant une succursale ayant >€40M de chiffre d’affaires net.

Le champ d’application de l’obligation d’information

L’article L. 232-6-3 du Code de commerce oblige les entreprises à publier des informations permettant de comprendre leur impact en matière de durabilité, ce qui inclut des considérations environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise.

Ces dispositions vont au-delà de la précédente déclaration française de performance extra-financière (DPEF). Pour adhérer au principe de la « double matérialité » énoncé dans la CSRD, les entreprises doivent garantir la fiabilité, la comparabilité et l’accessibilité des informations relatives à leur durabilité. Cela implique de prendre en compte à la fois l’impact sur l’économie, l’environnement ou la société et les répercussions financières significatives sur le développement, la performance et la position de l’entreprise.

Pour répondre à ces exigences, l’ordonnance et le décret[2] fournissent une description détaillée des informations sur la durabilité qui entrent dans le champ d’application de l’obligation de reporting :

  • Modèle commercial et stratégie : Évaluation de la résilience de l’entreprise aux risques liés à la durabilité, identification des opportunités découlant de considérations liées à la durabilité, et divulgation des plans, mesures prises ou envisagées, et projets financiers et d’investissement associés pour aligner l’entreprise sur les objectifs de l’économie durable.
  • Les parties prenantes : Explication de la manière dont le modèle commercial et la stratégie intègrent les intérêts des parties prenantes, et présentation de l’approche de l’entreprise dans la mise en œuvre de sa stratégie concernant les questions de durabilité.
  • Objectifs de durabilité assortis d’échéances : Définition claire des objectifs et des progrès accomplis pour les atteindre, y compris les objectifs de réduction des émissions pour 2030 et 2050.
  • Gouvernance d’entreprise et politique générale : Description du rôle des organes de direction s’agissant des enjeux de durabilité ; présentation des compétences et de l’expertise des membres du conseil d’administration en matière de durabilité ; description des politiques de l’entreprise en matière de durabilité.
  • Diligence raisonnable et impacts négatifs concernant les questions de durabilité : identification et atténuation des impacts négatifs potentiels ou réels sur les opérations et la chaîne de valeur de l’entreprise. Toutefois, les entreprises peuvent omettre dans leurs rapports, au cours des trois premières années, les données relatives à leurs chaînes de valeur.
  • Gestion des risques : Identification et gestion des risques associés à la durabilité et des éventuelles dépendances.

A retenir

Le CSRD marque une attente plus forte vis-à-vis des entreprises qui se traduit par une évolution significative des informations à divulguer, ainsi que du nombre d’entreprises tenues de partager (et donc de collecter) leurs données relatives au climat. Selon les seuils adoptés, environ 50 000 entreprises en Europe devront divulguer des informations sur le climat, contre environ 12 000 actuellement.


[1] Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 (directive CSRD), publiée au Journal officiel de l’UE le 16 décembre 2022 applicable à partir du 1er janvier 2024.

[2] Décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023 pris en l’application de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés

Responsabilité des parties vis-à-vis des tiers : la Chambre commerciale surprend !

Cour de cassation, Chambre commerciale, 3 juillet 2024, pourvoi n° 21-14.947

Par un arrêt du 3 juillet 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation innove et encadre la responsabilité qu’encourent les parties à un contrat envers les tiers qui subissent un préjudice du fait de leur inexécution contractuelle.

Les faits

Une société productrice de machines (Aetna Group SPA) avait organisé l’acheminement de plusieurs de ses équipements d’Italie jusqu’en France. À ces fins, une autre société du même groupe (Aetna Group France) avait conclu un contrat avec un prestataire (Clamageran) pour la manutention et le déchargement des machines à l’issue de leur transport. L’une des machines avait été endommagée par un employé de la société prestataire.

L’assureur de la productrice des machines, victime du dommage, a indemnisé celle-ci du dommage subi. Subrogé dans ses droits, il a ensuite assigné l’auteur du dommage en paiement de dommages et intérêts, initialement sur le fondement de la responsabilité contractuelle. L’auteur du dommage a opposé à l’assureur les clauses limitatives de responsabilité du contrat qui l’unissait à la société Aetna Group France qui avait arrangé le déchargement.

La procédure & la décision

La cour d’appel de Paris, relevant l’absence de lien contractuel entre la victime (Aetna Group SPA) et l’auteur du dommage (lié par contrat à Aetna Group France, société distincte de la victime), a retenu la responsabilité délictuelle de l’auteur du dommage envers la victime, ce dont elle a déduit que les clauses limitatives de responsabilité du contrat conclu avec la société française ne pouvaient s’appliquer.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient censurer cet arrêt en décidant que « le tiers à un contrat qui invoque contre une partie, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel lui ayant causé un dommage, peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité applicables entre les contractants ». 

Réaffirmation du principe : responsabilité délictuelle du contractant dont l’inexécution contractuelle cause un préjudice à un tiers

Dans un célèbre arrêt Boot shop rendu en Assemblée plénière le 6 octobre 2006, la Cour de cassation avait décidé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255).

Le principe avait été confirmé par la même Assemblée plénière dans un arrêt du 13 janvier 2020, Bois rouge, où elle affirmait que « [l]e manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage » (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963). La Haute Juridiction précisait alors qu’il s’agissait de « faciliter l’indemnisation du tiers à un contrat qui, justifiant avoir été lésé en raison de l’inexécution d’obligations purement contractuelles, ne pouvait caractériser la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence, ni du devoir général de ne pas nuire à autrui ». Dès lors, « le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement ».

Ces principes sont repris par la Chambre commerciale dans l’arrêt commenté. Il n’est pas nécessaire pour le tiers de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte du manquement contractuel, mais uniquement d’établir un lien de causalité entre ce manquement et le préjudice qu’il subit. Cependant, la Cour innove sur les conséquences d’un tel choix.

Innovation : opposabilité au tiers des clauses limitatives de responsabilité du contrat

Les arrêts Boot shop et Bois rouge avaient suscité de fortes critiques. Leur était reprochée leur sévérité envers le contractant dont l’inexécution se trouvait sanctionnée non seulement vis-à-vis de son seul cocontractant, mais vis-à-vis de tout tiers et ce sans que ce dernier ait à prouver une faute délictuelle distincte. De surcroît, s’agissant de responsabilité extracontractuelle, il s’en déduisait que les limites posées par le contrat entre les parties ne trouveraient pas à s’appliquer vis-à-vis du tiers.

Une partie de la doctrine soulignaitqu’en favorisant l’action des victimes, cette jurisprudence plaçaitle tiers au contrat dans une position plus avantageuse que le cocontractant, déjouant les prévisions des parties : le tiers bénéficiait en effet du contrat sans se voir opposer les obligations et limites stipulées dans ce dernier. Le débiteur pouvait ainsi se trouver davantage redevable envers les tiers qu’envers son créancier.

Dans l’arrêt commenté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient répondre à ces critiques en opposant au tiers, lorsqu’il invoque contre une partie un manquement contractuel qui lui a causé un dommage, « les conditions et limites de la responsabilité applicables entre les contractants ». 

Un nouvel équilibre

La Cour de cassation affiche clairement son objectif, à savoir le renforcement de la sécurité juridique pour les contractants : l’arrêt précise qu’il s’agit de « ne pas déjouer les prévisions des parties ».

Faut-il alors s’émouvoir que l’on puisse ainsi limiter la réparation du dommage causé au tiers alors que le principe, en matière délictuelle, est celui de la réparation intégrale du préjudice ?

Ce serait oublier que le tiers peut toujours obtenir la réparation intégrale de son préjudice s’il parvient à démontrer que le comportement fautif, au-delà du manquement contractuel qu’il constitue, est également une faute délictuelle, c’est-à-dire « la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence » ou « du devoir général de ne pas nuire à autrui ». Une telle faute, qui excède le manquement contractuel, nous paraît engager la responsabilité de son auteur dans les conditions traditionnelles de la responsabilité délictuelle, sans se heurter aux limites prévues dans le contrat entre les parties.

En revanche, lorsque c’est le manquement contractuel qui est invoqué par le tiers victime, alors toutes les stipulations qui assortissent l’obligation contractuelle méconnue par le débiteur seront opposables au tiers.

L’arrêt commenté s’inscrit dans le mouvement de l’Avant-projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017, dont le projet d’article 1234 prévoit : « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs mentionnés à la section 2 du chapitre II du présent sous-titre.

Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat et ne disposant d’aucune autre action en réparation pour le préjudice subi du fait de sa mauvaise exécution, peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. »

Reste à savoir si les autres chambres de la Cour de cassation rejoindront la Chambre commerciale sur cette voie.