Les avantages et inconvénients du dispositif d’apport-cession

14 octobre 2020
Philippe Pescayre et William Mathiotte

L’apport-cession est un mécanisme consistant, pour un actionnaire, à apporter les titres de sa société à une holding constituée à cet effet dont il détient le contrôle, préalablement à leur cession.

Une imposition différée de la plus-value d’apport

La plus-value résultant de l’apport des titres à la holding n’est pas immédiatement taxée.

En effet, les plus-values d’apport de titres à des sociétés contrôlées par l’apporteur sont soumises à un régime de report d’imposition de plein droit (CGI, art. 150-0 B ter).

La plus-value d’apport réalisée est calculée et déclarée lors de sa réalisation mais son imposition est reportée au moment où s’opère l’un des événements entrainant la déchéance du report.

Le report d’imposition prend fin :

(i) lors de la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres reçus en rémunération de l’apport (i.e. vente titres de la société holding) ;

(ii) lors de la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres apportés à la société bénéficiaire dans un délai de trois (3) ans à compter de l’apport, sauf si cette société s’engage à réinvestir le produit de la cession dans une activité économique ;

(iii) lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France antérieurement aux événements prévus aux (i) et (ii).

Le dispositif d’apport-cession prévoit un différé d’imposition. Il ne s’agit pas d’un mécanisme d’exonération définitif de la plus-value d’apport (qui sera potentiellement imposable un jour). Ce dispositif est donc intéressant lorsque l’actionnaire à l’intention de se redéployer professionnellement.

En effet, au lieu de payer l’impôt sur la plus-value qu’il réaliserait directement en cas de revente de son entreprise et de réinvestir le produit net d’impôt sur le revenu, il va pouvoir réinvestir la totalité du prix de vente des titres de son entreprise apportés à la holding, à condition toutefois d’être en mesure de respecter certaines contraintes.

Si le chef d’entreprise s’y est pris suffisamment en amont pour apporter ses titres à la holding et peut patienter au moins trois (3) ans avant la revente, la cession des titres par la holding ne remettra pas en cause le report d’imposition et la holding pourra réinvestir l’intégralité du prix de cession comme elle l’entend, y compris dans des actifs patrimoniaux (sans avoir ainsi à respecter l’obligation de réinvestissement de 60% du produit de cession dans des activités éligibles).

En outre, si les titres apportés à la holding se sont appréciés entre la date d’apport et la date de cession, la société holding pourra bénéficier (notamment en cas de détention d’au moins 5% de la société émettrice pendant deux ans) d’une exonération de la plus-value de cession éventuellement réalisée par application du régime des «titres de participation» (sous réserve de l’imposition d’une quote-part de frais et charges de 12%). La plus-value réalisée par la société holding relèvera alors d’un taux d’imposition de l’ordre de 3,5%.

Les contraintes de l’apport-cession

· Apport préalable à la cession

L’apport de titres à la holding doit être préalable à leur cession. Il convient ainsi d’anticiper cette étape en amont.

En cas de conclusion d’un protocole de cession, le transfert des titres à la holding devra intervenir avant la levée des conditions suspensives.

· Report d’imposition conditionné notamment au réinvestissement de 60% du prix de cession

La cession des titres apportés par la société bénéficiaire dans les trois (3) ans de l’apport ne met pas fin au report d’imposition lorsque la société s’engage à réinvestir, dans un délai de deux (2) ans à compter de la cession, au moins 60 % du produit de la cession dans :

– le financement de moyens permanents d’exploitation affectés à son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière. Les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier sont exclues du bénéfice de cette dérogation ;

– l’acquisition d’une fraction du capital d’une ou de plusieurs sociétés exerçant une telle activité. Ce réinvestissement doit avoir pour effet de lui conférer le contrôle de chacune de ces sociétés ;

– la souscription en numéraire au capital initial ou à l’augmentation de capital d’une ou de plusieurs sociétés ;

– la souscription de parts ou actions de certaines structures d’investissement.

Les biens ou titres objet du réinvestissement doivent être conservés pendant au moins douze (12) mois à compter de la date de leur inscription à l’actif de la société.

· Pas de purge immédiate de la plus-value en cas de donation

La donation des titres de la société holding n’a pas pour effet immédiat de purger la plus-value placée en report d’imposition. En effet, lorsque les titres reçus en rémunération de l’apport font l’objet d’une donation et que le donataire contrôle avec son groupe familial la société bénéficiaire de l’apport, la plus-value en report est transférée sur la tête du donataire et est imposée s’il revend les titres donnés dans les 5 ou 10 ans suivant la donation.

· Sur le risque d’abus de droit

Le Conseil d’État a récemment précisé la portée du critère du réinvestissement économique du produit de la cession et estime notamment que le réinvestissement dans l’acquisition de titres appartenant au contribuable ne présente pas un caractère économique (CE 10-7-2019 n° 411474).

Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant sur les réinvestissements envisagés.

Comparaison de l’apport-cession et de la cession directe

Face aux contraintes induites par le dispositif d’apport-cession, la question se pose de savoir si ce mécanisme s’avère plus intéressant qu’une cession directe.

Prenons un exemple pratique pour apprécier l’intérêt de chacune des opérations :

Un chef d’entreprise envisage de céder son affaire acquise il y a 15 ans pour 200 000 euros. Son entreprise est aujourd’hui évaluée à 1 000 000 d’euros. La plus-value susceptible d’être réalisée s’élève à 800 000 euros.

Monsieur X souhaiterait reprendre l’exploitation d’un restaurant en Normandie d’une valeur de 900 000 euros.

o Hypothèse 1 : vente directe des titres

La plus-value de 800 000 euros sera soumise au prélèvement forfaitaire unique de 30% (auquel s’ajoute la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus [CEHR] aux taux de 3% et 4%), soit une imposition de 240 000 euros (+ 16 500 € de CEHR pour un contribuable célibataire / + 9 000 € de CEHR pour un couple marié).

Le contribuable disposera, après fiscalité, de la somme de 743 000 € qu’il pourra librement utiliser. Toutefois, pour réaliser son projet, Monsieur X devra recourir à un financement extérieur.

o Hypothèse 2 : apport des titres de la société à la holding préalablement à leur cession

Si le contribuable apporte ses titres à une holding, la plus-value d’apport d’un montant de 800 000 euros sera placée en report.

Si la holding cède les titres reçus dans les trois (3) ans suivant leur apport, le maintien du bénéfice du report d’imposition sera conditionné au réinvestissement de 60% du produit de cession (soit 600 000 €) dans un délai de deux (2) ans à compter de la cession et à la conservation des réinvestissements pendant douze (12) mois.

La plus-value éventuellement constatée par la holding à l’occasion de la cession des titres lui ayant été apportés pourra, le cas échéant, bénéficier du régime d’exonération des titres de participations (en cas de détention d’au moins 5% des titres de la société apportée pendant deux ans).

Ainsi, le mécanisme de l’apport-cession présente comme avantage essentiel le fait de différer l’imposition de la plus-value d’apport et de permettre au chef d’entreprise souhaitant se redéployer professionnellement de dégager une capacité de financement au niveau de la holding plus importante qu’à titre personnel (à raison de l’absence de l’imposition de la plus-value d’apport).

En effet, dans notre exemple, le chef d’entreprise disposera (par l’intermédiaire de la holding) d’une capacité d’investissement de 1 000 000 € (et non pas simplement de 743 000 € en cas de cession directe de sa participation). Le mécanisme de l’apport-cession permet ainsi de maximiser les liquidités disponibles (et donc de réduire la nécessité de recourir à un financement extérieur). Monsieur X pourra ainsi procéder au rachat du restaurant normand tant convoité.

Enfin, d’un point de vue pratique, les contribuables procèdent :

(i) pour partie, à une cession directe des titres (éventuellement précédée d’une donation au profit de leurs enfants pour purger la plus-value latente) ;

(ii) et pour partie, à un apport-cession dont le quantum est généralement apprécié au regard des réinvestissements envisagés.

Il convient donc idéalement de mener une réflexion préalable, en fonction des objectifs poursuivis.

Philippe Pescayre, Associé, William Mathiotte, Counsel et Mélika Sangare, stagiaire en Droit du patrimoine