Management package : les incertitudes sur l’assujettissement à cotisations des bons de souscription d’actions

31 octobre 2019
Jacques Perotto et Stanislas Vailhen

La Cour de cassation s’est prononcée, pour la première fois, le 4 avril 2019, sur l’assujettissement à cotisations sociales des bons de souscription d’actions. « Cet arrêt éclaire pour la première fois la notion d’avantage au sens du code de la sécurité sociale et subordonne l’assujettissement à cotisations sociales au fait qu’ils soient acquis par leurs bénéficiaires à des conditions préférentielles », précisent Jacques Perotto, avocat en droit social et Stanislas Vailhen, avocat en droit fiscal, Alerion avocats, dans une tribune pour AEF info. « Toutefois cette décision surprend dans son appréciation des conditions préférentielles. Outre que la Cour de cassation ne fait qu’évoquer la notion de conditions préférentielles sans la définir, les termes de l’arrêt montrent le caractère déterminant de l’incessibilité des BSA ». Voici leur analyse de l’arrêt et de ses enseignements.

La Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la question de l’assujettissement à cotisations sociales des bons de souscription d’actions (BSA) dans un arrêt du 4 avril 2019 (Cass. 2 civ., n° 17-24.470, publié).

Cet arrêt éclaire pour la première fois la notion d’avantage au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et subordonne l’assujettissement à cotisations sociales des BSA proposés en contrepartie ou à l’occasion du travail au fait qu’ils soient acquis par leurs bénéficiaires (salariés ou mandataires sociaux opérationnels) à des conditions préférentielles.

Toutefois cette décision surprend dans son appréciation des conditions préférentielles.

Outre que la Cour de cassation ne fait qu’évoquer la notion de « conditions préférentielles » sans la définir, les termes de l’arrêt, éclairés par l’avis de l’avocat général, montrent le caractère déterminant de l’incessibilité des BSA au cas d’espèce puisqu’il a conduit la Cour à décaler l’appréciation de cet avantage à la date à laquelle les bénéficiaires en ont eu la libre disposition.

Ainsi, pour la Cour de cassation, l’attribution de BSA est susceptible d’être assujettie à cotisations sociales s’ils procurent un avantage à leurs bénéficiaires, ce dernier devant être évalué selon la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition.

ABSENCE DE CADRE LÉGAL D’ASSUJETTISSEMENT À COTISATIONS

Les mécanismes d’accès au capital non réglementés, tels que les BSA, ne font l’objet d’aucun régime légal d’assujettissement à cotisations sociales.

On sait en effet que l’attribution d’actions à un prix préférentiel à un collaborateur génère un avantage sur lequel les charges sociales doivent être prélevées quand ces actions sont attribuées en raison de l’appartenance du collaborateur à l’entreprise ; mais une incertitude demeurait en cas d’attribution de BSA.

Cette incertitude est en partie levée puisque la deuxième chambre civile de la Cour de cassation juge pour la première fois dans son arrêt du 4 avril 2019 que l’attribution des BSA constitue un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales dès lors que ceux-ci sont proposés « dans des conditions préférentielles » au collaborateur « en contrepartie » ou « à l’occasion du travail » (CSS art. L. 242-1). Précisons que cette règle s’applique aux salariés comme aux mandataires sociaux opérationnels.

Or, si le lien avec le travail ne fait guère de doute, l’existence de conditions préférentielles semble moins évidente puisque les BSA sont acquis par leurs bénéficiaires et constituent pour ces derniers un investissement. Il est, en outre, soumis à un risque financier puisque l’acquéreur des BSA peut subir une perte en cas de baisse de la valeur de l’action sous-jacente au BSA.

Le juge fiscal estime d’ailleurs, de son côté, que les deux conditions précitées sont indispensables pour requalifier en traitement et salaire des gains issus de la cession d’une valeur mobilière obtenue en exercice d’un BSA (CE 7 novembre 2008, n°301642).

Pour le Conseil d’État, l’existence d’un contrat de travail ou d’un mandat social n’est pas suffisante pour requalifier en salaires les gains obtenus en exercice des bons. Celui-ci s’attache en effet pour requalifier le gain réalisé en exercice d’un BSA en salaire une fois le lien salarial établi, à caractériser soit une absence de risque capitalistique, soit une acquisition de l’instrument par son bénéficiaire pour un prix ne correspondant à la juste valeur du bon.

DATE D’APPRÉCIATION DE L’AVANTAGE PRÉFÉRENTIEL

Sans définir ce qu’est « un avantage préférentiel », la Cour de cassation se prononce sur la date à laquelle il doit être apprécié, lorsque les BSA sont incessibles.

Dans cette affaire, à l’occasion de l’entrée d’un fonds au capital de la société Groupe Lucien Barrière, un contrat d’investissement avait été conclu en 2004 qui prévoyait la souscription de BSA par six dirigeants pour un montant global de 900 000 euros. Le contrat prévoyait que les bons étaient incessibles pendant une durée déterminée, étaient assortis de promesses de vente en cas d’une vente par le fonds de sa participation au capital de la société ou de départ du bénéficiaire et ne pouvaient être exercés que dans les conditions prévues au contrat.

En 2009 à l’occasion de la sortie du fonds, les titulaires de BSA ont vendu leurs bons moyennant le prix convenu dans le contrat d’investissement et ont réalisé une plus-value globale de près de 2,7 millions d’euros.

La cour d’appel s’en tenait à une lecture littérale de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, en considérant que le seul fait qu’il y ait eu un nombre limité de bénéficiaires suffisait à caractériser un « avantage » au sens de cet article.

La cour d’appel considérait en outre que l’avantage soumis à cotisations correspondait à la plus-value réalisée lors de la cession des bons en 2009.

Si fort heureusement la Cour de cassation invalide le raisonnement de la cour d’appel sur ce dernier point, la deuxième chambre civile estime que l’évaluation de l’avantage doit être effectuée « selon la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition », suivant en cela le raisonnement de son avocat général. Celui-ci a en effet considéré que les bons n’avaient au stade de la décision d’émission strictement aucune valeur, et qu’en conséquence l’existence d’un « avantage » n’était caractérisé et ne se matérialisait qu’à la date de leur exercice ou de leur cession.

Le manque de précision de la décision de la Cour de cassation, sur ce qui constitue une attribution de BSA à « des conditions préférentielles » en tant que telle est constitutif d’un avantage soumis à cotisations sociales au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et le fait qu’elle considère que l’avantage susceptible de caractériser de telles conditions doive être évalué à la date de libre disposition des bons créent une importante zone d’incertitude pour les sociétés qui ont émis des BSA.

Dans l’attente de la décision de la cour d’appel de renvoi, on peut déjà tirer quelques enseignements de cette décision :

– À la différence du juge fiscal et de l’administration fiscale, la Cour de cassation ne s’engage pas sur le terrain du risque pris par les titulaires de BSA. Il est à ce titre dommage que ni l’avis de l’avocat général, ni l’arrêt de la Cour de cassation ne mentionnent la notion de juste prix qui aurait été plus compréhensive et aurait surtout permis une harmonisation entre la vision de l’administration fiscale et celle de l’URSSAF.

– La Cour de cassation semble indiquer de manière implicite que l’attribution de BSA sans clause d’incessibilité, même à un nombre limité de personnes, ne constituerait un avantage au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, que si les BSA sont attribués à des conditions préférentielles. On ne peut évidemment qu’approuver ce raisonnement qui n’est pas sans rappeler celui de la jurisprudence fiscale. Néanmoins cette analyse des attendus sibyllins de l’arrêt de la Cour de cassation devra être confirmée par la cour d’appel de renvoi.

– Pour limiter un risque de rappel de cotisations sociales, il est impératif d’évaluer la juste valeur du bon au moment de son acquisition. Rappelons qu’il existe différentes méthodes permettant une évaluation tenant compte notamment de l’évolution de la valeur de l’action sous-jacente aux bons. Il doit à ce titre être souligné, ce qui ne semble pas avoir été pris en compte par la Cour de cassation, que ces méthodes d’évaluation intègrent systématiquement les clauses d’incessibilité dont sont éventuellement grevés les contrats d’émission de BSA, et que fort logiquement de telles clauses engendrent une décote de la valeur du BSA, l’impossibilité pour son titulaire de le céder pendant une certaine période accroissant le caractère risqué de son investissement.

– Dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de renvoi ou d’un arrêt de la Cour de cassation à propos de BSA non grevés d’une clause d’incessibilité qui devront fixer les contours de la notion de « conditions préférentielles », les sociétés auront peut-être intérêt à limiter l’émission de BSA à des tiers investisseurs, à l’exclusion de leurs salariés ou dirigeants assimilés salariés.

Jacques Perotto, associé en droit social, et Stanislas Vailhen, associé en droit fiscal, chez Alerion

Publié le 23 octobre 2019 sur AEF info.