Présentation de la réglementation et des bonnes pratiques en matière de cybersécurité pour les médias en ligne à l’occasion de la future transposition de la Directive NIS 2

Corinne THIERACHE, Associée et responsable du Département « Droit des technologies et du Numérique » au cabinet Alerion, est intervenue à la Commission Juridique du GESTE le 21 septembre 2023 dernier afin de présenter la réglementation et les bonnes pratiques en matière de cybersécurité pour les médias en ligne à l’occasion de la future transposition de la Directive NIS 2 (Network and Information Security version 2).

Le 21 septembre 2023, la Commission Juridique DPO (« Data Protection Officer ») du GESTE s’est réunie autour du thème crucial de la cybersécurité des médias. Corinne Thiérache est revenue sur l’enjeu démocratique que représente la cybersécurité lorsqu’il s’agit des médias, dans un contexte où les cyberattaques à caractère politique se multiplient.

En effet, si les médias ne semblent pas encore soumis aux obligations strictes de cybersécurité prévues par les directives européennes NIS 1 et 2 (« Network and Information Security »), il est primordial qu’ils se conforment aux obligations légales reposant sur toute entité, et qu’ils suivent les bonnes pratiques pour se prémunir face au risque de désinformation et de mise en danger des sources journalistiques. La transposition de la directive NIS 2 en droit français sera au cœur des débats sur la cybersécurité et des travaux de l’ANSSI d’ici la fin de l’année 2023 et courant 2024.

Cette vigilance doit être également de mise quant au suivi des discussions en cours concernant le projet de Media Freedom Act (MFA) au niveau européen (protection des sources journalistiques et l’encadrement très strict de l’utilisation des logiciels espions sur des journalistes). La commission Culture (CULT) du Parlement européen a récemment publié un communiqué de presse récapitulant les amendements adoptés le 7 septembre par la commission CULT par rapport au texte initial proposé par la Commission. Prochaines étapes : Le texte amendé devrait être adopté par l’Assemblée plénière du Parlement se tenant du 2 au 5 octobre, avant de commencer les sessions de négociation en trilogue avec le Conseil. Pour rappel, le Conseil avait adopté sa position sur le texte le 21 juin 2023. L’objectif affiché par les législateurs européens est d’adopter le texte avant les prochaines élections européennes, soit juin 2024.

Il apparaît clairement que la liberté des médias est au cœur de la législation sur les services numériques devant protéger la liberté des médias dans un monde en ligne sûr (articulation du MFA et les dispositions du DSA concernant les médias).

« La loi Influence permet-elle vraiment d’encadrer les dérives de certains influenceurs ? paru dans le numéro de septembre 2023 de la Revue Expertises des systèmes d’information : Droit, Technologies et prospectives

Corinne THIERACHE, Associée, Caroline LEROY-BLANVILLAIN Avocate et Gwennaëlle CAER, Elève-avocate des Départements Propriété intellectuelle et Droit des technologies et du Numérique ont co-rédigé l’article « La loi Influence permet-elle vraiment d’encadrer les dérives de certains influenceurs ?» paru dans le numéro de septembre 2023 de Expertises des systèmes d’information.

Upcycling et marques de renommée : droits et limites pour le secteur du luxe

Corinne Thiérache a rédigé une article intitulé “Upcycling et marques de renommée : droits et limites pour le secteur du luxe” paru en Une de la revue Luxus Plus le 4 septembre 2023.

Avec la prise de conscience d’une surconsommation inadaptée et l’intérêt des consommateurs pour des produits à faible impact environnemental, les tendances du vintage et du Do It by Yourself se sont largement popularisées. Combinés, ces deux concepts ont donné naissance à un nouveau phénomène de mode, appelé « l’upcycling », qui consiste à redonner vie à des produits préexistants en les transformant en un autre produit. […]

Nicola Kömpf a publié un article dans le journal allemand « Lebensmittel Zeitung » sur le renforcement des droits des producteurs agricoles (lois EGalim).

Nicola Kömpf, avocat aux barreaux de Paris et de Berlin, associé et responsable du German Desk du cabinet Alerion avocats à Paris, a publié le 1er septembre 2023 un article dans le journal allemand « Lebensmittel Zeitung » sur le renforcement des droits des producteurs agricoles (lois EGalim).

Entrée en application du Digital Services Act : nouvelles règles à retenir

Le Règlement sur les services numériques, ou Digital Services Act (ci-après « DSA »), publié au Journal Officiel de l’Union Européenne (JOUE) le 27 octobre 2022, est entré en application pour les très grandes plateformes ce vendredi 25 août 2023. Ce règlement, avec son homologue le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, ou « DMA ») est l’un des piliers de l’initiative de l’exécutif européen de réguler l’espace numérique.

Le DSA vise principalement à encadrer les contenus (haineux, pédopornographiques, terroristes…) et les produits (contrefaits ou dangereux) illicites en ligne et protéger les utilisateurs. Le texte adapte les obligations imposées à chaque type d’acteur en fonction de sa taille, de la nature des services proposés et des risques qu’il fait peser sur la société afin de confier aux acteurs ayant une « importance systémique » des « responsabilités particulières ». Les très grandes plateformes en lignes (Very Large Operating Platforms, ou « VLOPs ») et les très grands moteurs de recherche (Very Large Search Engines, ou « VLOSEs »), dépassant les 45 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, soit 10% de la population européenne, font ainsi l’objet d’obligations plus strictes et d’un délai de mise en conformité plus court.

Les premiers VLOPs et VLOSEs ont été désignés par la Commission européenne le 25 avril 2023 : les plateformes sont au nombre de 17 (Alibaba, Aliexpress, Amazon, Apple App Store, Booking.com, Facebook, Google Maps, Play Store, Google Shopping, Zalando, YouTube, Instagram, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipédia, LinkedIn), accompagnées par deux moteurs de recherche en ligne (Bing et Google Search). Zalando et Amazon ont néanmoins contesté en justice leurs désignations en affirmant que la majorité de leurs revenus proviendraient de leur activité de vente de détail et non en tant que marché en ligne et qu’ainsi elles ne devaient pas être désignées en tant que VLOPs.  La Commission aurait également pour ambition de viser certaines plateformes pas encore désignées pour le moment, telles que Spotify ou Airbnb. Pour toutes ces plateformes désignées, le DSA a commencé à s’appliquer quatre mois après leur désignation, soit le 25 août 2023, alors que le texte s’appliquera à tous les autres acteurs seulement à compter du 17 février 2024.

Ainsi, voici les principales obligations auxquelles sont soumises les très grandes plateformes depuis ce vendredi :

  • Les plateformes désignées devront, chaque année, procéder à une analyse des risques systémiques liés à leurs services sous le contrôle de la Commission et prendre les mesures nécessaires pour atténuer ces risques
    • L’objectif est d’analyser et limiter les risques systémiques provoqués par les plateformes, notamment en termes de propagation des contenus de désinformation ou de manipulation des utilisateurs, les risques de profusion de haine et violence en ligne, de mise en danger des droits fondamentaux, mais également les risques concernant les discours civiques et processus électoraux ou les risques de santé publique.
    • L’objectif est de réguler la visibilité des contenus préjudiciables, sans forcément le supprimer afin de ne pas porter atteinte à la liberté d’expression. Ainsi, les mesures peuvent par exemple être la suppression de faux comptes et la mise en avant du caractère fallacieux d’une information apparaissant à tort comme authentique.
  • Les plateformes devront également mettre en place un mécanisme de réaction aux crises susceptibles d’influer sur la sécurité ou la santé publique permettant la réalisation d’une analyse de risque et des mesures d’urgence en cas d’émergence d’une crise.
  • Les très grandes plateformes seront également soumises à des obligations particulières de transparence :
    • Des audits externes et indépendants évaluant les mesures prises pour assurer le respect du DSA, seront menés et les données permettant ces contrôles devront être transmises à la Commission mais également à des chercheurs agréés.
    • Comme toutes les plateformes, elles devront expliquer le fonctionnement de leurs algorithmes et systèmes de recommandation, mais devront également proposer aux utilisateurs un système de recommandation non fondé sur leur profilage. Il sera ainsi possible de consulter un réseau social en voyant s’afficher les contenus par ordre chronologique de publication.
    • Les mécanismes de recours et de réparation devront être rendus accessibles aux utilisateurs, faciles à trouver et à comprendre.

Les très grandes plateformes devront également respecter les obligations prévues pour l’intégralité des acteurs visés par le DSA.

  • Cela passe d’abord par une plus grande responsabilisation des plateformes qui hébergent des contenus : elles devront ainsi faciliter les signalements et agir rapidement pour procéder à la suppression ou au blocage d’un contenu signalé comme illicite si c’est avéré, en dépit de quoi leur responsabilité pourrait être engagée. Les utilisateurs publiant fréquemment des contenus manifestement illicites devront également être suspendus temporairement. Des signaleurs de confiance seront également mis en place et leurs signalements traités en priorité par les plateformes (par exemple, Pharos en France).
  • Cette responsabilisation passe également par des obligations de transparence renforcées (publication fréquente de rapports annuels sur la modération, explicabilité du fonctionnement des algorithmes de recommandation, explication des motifs de suppression d’un contenu, informations supplémentaires sur les produits vendus sur les places de marché etc.).
  • Les publicités ciblées sont également encadrées (interdites pour les mineurs et si elles sont fondées sur des données sensibles) et les dark patterns (interfaces menant l’utilisateur à effectuer des actions non souhaitées) interdits afin de protéger le consentement et le libre arbitre du consommateur.
  • La lutte contre la désinformation est également au cœur des préoccupations puisque les deep fakes (enregistrements vidéo ou audio modifiés par l’intelligence artificielle) doivent être identifiables et les contenus préjudiciables relativement invisibilisés.

En cas de manquements à ces obligations, les entreprises s’exposent à des amendes allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires global, voire à une interdiction temporaire de leur activité en Europe. Si toutes ces obligations semblent pertinentes pour remplir les objectifs recherchés par le texte, il adviendra de veiller à la réelle mise en conformité des différents acteurs concernés, tâche confiée à la Commission européenne et financée par les très grandes plateformes elles-mêmes. Il faudra également veiller à ce que la mise en œuvre de la régulation des contenus en ligne n’atteigne pas de manière disproportionnée la liberté d’expression. En effet, se pose la question de la manière dont les plateformes, souvent extraeuropéennes, vont modérer les contenus illicites, des questions subsistent notamment concernant la capacité des plateformes à modérer les contenus en tenant compte de la culture de chaque pays afin d’éviter la censure. Subsidiairement et compte tenu de la quantité de contenus à modérer, l’utilisation de l’Intelligence Artificielle par les plateformes pour procéder à ces activités de modération pourrait être envisagée – ce qui n’est pas sans risque pour les droits et libertés fondamentaux des utilisateurs.

Les équipes du département Droit des technologies et du numérique du cabinet ALERION Avocats se tiennent naturellement à votre disposition pour vous accompagner dans la mise en conformité de votre activité à ces nouvelles obligations.

Corinne Thiérache, Avocate Associée, et Gwennaelle Caër, Elève-avocate de l’EDA Paris (EFB) du Département du Droit des technologies et du numérique.

Twitter (X) assignée devant le Tribunal Judiciaire de Paris sur le fondement du droit voisin des éditeurs et agences de presse

Tout juste renommée « X », Twitter a été assignée en référé le 2 août 2023 devant le Tribunal Judiciaire de Paris à la demande de l’Agence France-Presse (AFP) afin qui lui soit enjoint de lui communiquer l’ensemble des éléments nécessaires à l’évaluation de la rémunération qui lui est due au titre du droit voisin, conformément au communiqué de l’AFP du même jour.

En juillet dernier, les groupes de presse Le Monde, Le Figaro et Les Echos-Le Parisien ont annoncé la même procédure pour des raisons similaires.

Pour rappel, la France a été précurseur dans la transposition de l’article 15 de la Directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique unique, dite Directive DAMUN, avec la consécration d’un nouveau droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse aux articles L. 218-1 à L. 218-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) créés par la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019.

Or les actions menées par les groupes de presse à l’encontre de Twitter relèvent des dispositions de l’article L. 218-4 du CPI  et notamment de son alinéa 3 « Les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition. ».

Après avoir signé un accord avec Google le 17 novembre 2021, l’AFP continue d’agir sur le fondement du droit voisin des éditeurs et agences de presse, en parallèle des négociations avec les réseaux sociaux Facebook et TikTok, lesquelles sont menées par l’organisme de gestion collective la Société des droits voisins de la presse.

Il convient donc de suivre avec attention l’évolution de ce litige notamment au regard du récent changement de propriétaire de Twitter.

Les équipes du département Propriété Intellectuelle et Droit des technologies et du numérique du cabinet Alerion Avocats se tiennent naturellement à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller au mieux dans le cadre de vos problématiques liées au droit voisin et aux plateformes de communication au public en ligne.

Par Corinne Thiérache Associée et Adrien Bansard Avocat des Départements Propriété intellectuelle et Droit des technologies et du numérique du Cabinet ALERION AVOCATS.

Vers un renversement de la charge probatoire de l’originalité d’une œuvre ?

Le Sénat a enregistré le 6 juillet dernier une proposition de loi visant à rééquilibrer le partage de la charge de la preuve dès lors que l’originalité d’une œuvre est contestée en justice, conformément aux préconisations du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) tirées de son rapport rendu le 18 décembre 2020.

A ce titre, le CSPLA et les soixante-quatre sénatrices et sénateurs proposent de modifier l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle comme suit (nous mettons en gras) :

« Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit originales, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il appartient à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise ».

Si l’ajout du terme « originales » au sein premier alinéa tend à codifier les exigences jurisprudentielles afin d’exclure certaines œuvres du champ de protection du droit d’auteur, la création du second alinéa renverse la charge de la preuve au profit de celui qui conteste l’originalité.

Les contentieux relatifs au droit d’auteur démontrent qu’il est souvent délicat pour le titulaire des droits d’auteur de justifier de l’originalité de son œuvre et il devra se livrer presque constamment à cet exercice puisqu’il s’agit de la ligne de défense classique du côté du prétendu contrefacteur.

Cet alinéa renverse ainsi la charge de la preuve de l’originalité en conférant une présomption d’originalité à l’œuvre dont il appartiendra en premier lieu au défendeur d’en contester l’existence de manière « motivée » de telle sorte que ses arguments fassent naître un « doute sérieux » sur l’originalité.

Les termes « motivée » et « doute sérieux », volontairement larges, doivent permettre de laisser place à une interprétation in concreto par les juges du fond.

Il sera ainsi intéressant de suivre l’évolution de cette proposition de loi dont l’impact, en cas de codification, sera considérable sur les futurs contentieux en droit d’auteur.

L’équipe du département Propriété Intellectuelle du cabinet Alerion Avocats se tient naturellement à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller au mieux dans le cadre de l’utilisation de vos créations ou celles de tiers et de vos contentieux au titre des droits d’auteur attachés à celles-ci.

Par Corinne Thiérache Associée et Adrien Bansard Avocat du Département Propriété intellectuelle du Cabinet ALERION AVOCATS.

REGLEMENT E-EVIDENCE : Enfin mais encore un peu de patience …..

Le Règlement[1] relatif aux preuves électroniques, dit règlement « E-Evidence » a été publié au Journal Officiel de l’Union européenne le 28 juillet 2023 après sept années de négociation. Ce Règlement est accompagné d’une Directive[2] afin d’instaurer un cadre législatif complet. Il est entré en vigueur le 17 août 2023, et sera applicable à compter du 17 août 2026.

Ce paquet législatif vise à améliorer la capacité des autorités judiciaires et policières des différents Etats-membres à mener à bien des enquêtes pénales dans un contexte de numérisation de la société. En effet, les preuves sont devenues majoritairement électroniques, notamment en raison de l’émergence d’une nouvelle forme de criminalité via Internet mais également en raison de l’utilisation par les auteurs d’infractions de modes de communication électroniques. Ces preuves sont ainsi souvent détenues par des acteurs situés dans un pays différent de celui à l’origine de l’enquête, et la communication de celles-ci aux autorités judiciaires compétentes dépend majoritairement de leur bon vouloir – les instruments traditionnels s’étant montrés inadaptés et chronophages pour collecter ces dernières en temps utile.

Le Règlement E-Evidence a donc pour objectif de créer un cadre législatif européen permettant une coopération directe entre les autorités judiciaires et un fournisseur de service basé dans un autre Etat membre dans le cadre d’enquêtes pénales, tout en garantissant les droits et libertés fondamentaux de chacun. Cette coopération passe notamment par :

  • la création d’injonctions européennes de production permettant à une autorité judiciaire d’obtenir une preuve électronique (par exemple un email, un message ou des informations permettant l’identification d’un auteur) directement auprès d’un fournisseur de service dans les 10 jours suivant la demande (8 heures en cas d’urgence)
  • la création d’injonctions européennes de conservation obligeant les fournisseurs de service à conserver des preuves électroniques relatives à un suspect par exemple, dans l’hypothèse d’une communication ultérieure de ces dernières
  • la création d’une plateforme sécurisée permettant la communication de ces preuves
  • l’obligation pour les fournisseurs de services de nommer un représentant légal dans un Etat-membre de l’Union européenne s’il est basé dans un pays-tiers
  • l’introduction de garde-fous pour assurer la protection des droits fondamentaux des parties, notamment par la création d’un système de notification aux autorités de l’Etat membre où le fournisseur de services est basé dans certains cas prévus par le règlement, notamment lorsque l’injonction concerne des données sur le trafic ou sur le contenu d’un utilisateur. Les autorités peuvent alors contrôler la légitimité de l’injonction et bloquer la communication des preuves électroniques si l’un des quatre motifs suivants prévus par le texte le permet :
    • les données demandées sont protégées par des immunités ou privilèges accordés par l’Etat ou par la liberté de la presse et la liberté d’expression
    • l’exécution de l’injonction est contraire au principe de non bis in idem[3]
    • les faits pour lesquels l’injonction a été émise ne constituent pas une infraction dans le droit de l’Etat destinataire
    • les autorités ont des motifs sérieux de croire que l’exécution de l’injonction porterait atteinte aux droits fondamentaux des parties

L’aboutissement d’un tel paquet législatif est crucial pour l’Union européenne et prouve que les Etats membres s’accordent mutuellement une grande confiance en leurs différents systèmes judiciaires. Ces textes offrent également une plus grande sécurité juridique aux acteurs économiques puisqu’ils harmonisent les conditions de coopération avec les autorités judiciaires, créant un socle commun pour ces derniers et évitant ainsi les distorsions de concurrence. Il faudra néanmoins veiller à la traduction concrète de ces textes, notamment concernant la notification des autorités de l’Etat-membre hébergeant le fournisseur de contenu destinataire de l’injonction : ce mécanisme pourrait rapidement devenir un obstacle juridique et administratif à la bonne coopération judiciaire, à l’instar des mécanismes traditionnels.

Afin d’aboutir à un cadre législatif pertinent applicable, non seulement dans les Etats-membres de l’Union, mais également dans d’autres pays qui hébergent les plus grandes entreprises de la tech, la Commission européenne a mené en parallèle des négociations internationales avec les Etats-Unis d’une part, et dans le cadre du Conseil de l’Europe d’autre part. Les négociations avec les Etats-Unis sont toujours en cours, mais les négociations avec les membres du Conseil de l’Europe ont pu aboutir puisqu’un second protocole additionnel à la Convention de Budapest sur la Cybercriminalité a été adopté le 17 novembre 2021. Ce protocole a été signé par 42 pays, mais n’a pour le moment été ratifié que par deux pays : la Serbie le 9 février 2023 et le Japon le 10 août de la même année. Il entrera en vigueur lorsqu’il aura été ratifié par au moins 5 pays. Les pays de l’UE ont été autorisés par le Conseil à le signer depuis le 14 février 2023.

Les équipes du département Droit des technologies et du numérique du cabinet ALERION Avocats se tiennent naturellement à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller pour toute affaire de cybercriminalité. .

Corinne Thiérache, Avocate Associée, et Gwennaelle Caer, Elève-avocat de l’EDA Paris (EFB) du Département du Droit des technologies et du numérique


[1] Règlement (UE) 2023/1543 du 12 juillet 2023 relatif aux injonctions européennes de production et aux injonctions européennes de conservation concernant les preuves électroniques dans le cadre des procédures pénales et aux fins de l’exécution de peines privatives de liberté prononcées à l’issue d’une procédure pénale

[2] Directive (UE) 2023/1544 du 12 juillet 2023 établissant des règles harmonisées concernant la désignation d’établissements désignés et de représentants légaux aux fins de l’obtention de preuves électroniques dans le cadre des procédures pénales

[3] Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente.

Employeurs de salariés en Allemagne : attention aux pièges du droit social allemand !

Nicola Kömpf, avocat aux barreaux de Paris et de Berlin, associé et responsable du German Desk du cabinet Alerion avocats à Paris, a publié un article sur les pièges du droit du travail allemand que les employeurs français de salariés en Allemagne devraient connaître pour mieux les éviter, dans la lettre d’Option Droit & Affaires d’aout 2023.

CSR : des démarches RSE interpellées

Nous avons évoqué lors de nos précédentes chroniques le nouveau cadre règlementaire qui se met en place au niveau européen avec la Directive CSRD du 21 juin 2022 relative à l’évaluation de l’impact environnemental des activités des entreprises.

En France, la loi Pacte avait commencé à poser le principe qu’une société devait être gérée dans son intérêt social mais « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et que ses statuts pouvaient préciser « une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (article 1835 du Code civil). Cette loi a également créé le statut d’entreprise à mission, impliquant un contrôle externe des objectifs sociaux et environnementaux fixés dans les statuts.

La loi Climat du 22 août 2021 oblige les entreprises d’une certaine taille à des obligations d’analyse et de reporting sur l’impact de durabilité de leurs activités.

Cet encadrement réglementaire intervient dans un contexte dans lequel les démarches RSE initiées par les entreprises sont de plus en plus discutées et donc parfois discutables.

Des démarches RSE discutées : l’exemple des entreprises à mission

Les entreprises peuvent en effet se trouver rattraper par un contexte de contraintes économiques et financières et donc d’exigence de performance confronté à leurs engagements en matière de durabilité de leurs activités commerciales ou industrielles.

L’« affaire Danone » et la démission de son Président en mai 2021 illustre assez bien ce dilemme ; le départ d’Emmanuel Faber, motivé par une forte opposition à deux fonds d’investissement activistes, a eu un effet « ralentisseur » dans le processus d’adoption de la qualité d’entreprise à mission.

Quand la politique RSE devient un enjeu concurrentiel : les démarches RSE attaquées

Selon une étude d’HEC (Communiqué de presse HEC du 24 juin 2020), la communication de la stratégie RSE d’une entreprise et sa lisibilité à moyen ou long terme sont devenues des éléments structurants de la politique d’une entreprise auxquels certains fonds spéculatifs sont très attentifs ; ainsi, les entreprises qui auraient une communication financière explicite sur leur « business model » basé sur création de valeur à court terme verraient réduite la probabilité d’être attaqués par des fonds spéculatifs.

La raison en est simple : l’engagement par une société d’une démarche RSE substantielle constituerait un indicateur pour certains fonds spéculatifs peu scrupuleux selon lequel il existerait des dépenses inutiles (à leurs yeux), lesquelles, une fois supprimées, permettraient un accroissement significatif de leurs profits.

Pour diminuer ce risque, l’entreprise doit s’assurer au préalable du soutien et de la légitimité de ses démarches durables auprès de ses actionnaires.

Des démarches RSE dont l’évaluation est controversée

Les investissements ESG (Environnement/Social/Gouvernance) pèsent chaque année plus lourdement dans l’investissement global ; à titre d’exemple, les encours ESG sur les Exchange Traded Fund ont progressé de 122% en 2021sur le marché européen. 

En mai 2022, l’agence de notation Standard & excluait Tesla de son indice ESG S&P 500 compte tenu de l’existence de plaintes notamment pour discrimination raciale contre l’entreprise et de l’opposition de la Direction à la création de syndicats.

Ces deux exemples illustrent la prise en compte exponentielle des critères ESG d’une part dans la part des investissements réalisés sur le marché européen et, d’autre part dans la notation et l’évaluation des entreprises et des produits financiers.

Toutefois, la multiplicité de ces mêmes critères d’évaluation (709 critères parmi 64 catégories utilisées par les agences de notation) et l’absence d’harmonisation des référentiels relativisent la pertinence des avis opérés quant à la réalité des démarches durables engagées par certaines entreprises ; une entreprise peut aussi améliorer son score ESG en vendant des actifs « non-conformes » à un autre propriétaire qui fait perdurer ladite activité, sans risquer de se voir stigmatisée aux yeux de l’opinion publique ou d’être sanctionnée financièrement dans certains cas.

Du Greenwashing au Purpose washing et au green-hushing

L’espace de liberté (« Soft law ») induit par l’absence de règles encadrant les démarches RSE des entreprises a incontestablement généré des élans favorables au développement durable.

Lorsque la RSE devient également un argument marketing, la tentation est forte pour l’entreprise de « verdir » son discours ou de pratiquer le « Social Washing », en mettant en avant certaines de ses actions en faveur des salariés qui peuvent cacher une réalité moins positive.

Une dérive tout aussi préoccupante consiste à afficher une « raison d’être », « une mission » ou un engagement social ou environnemental (« Purpose washing ») sans que cela ne soit sincère, effectif et transparent.

Des sanctions sont alors appliquées pour punir de tels comportements, nuisibles à la crédibilité globale des politiques RSE ; la pratique du « Name and Shame » consistant à assurer une activité médiatique négative à l’encontre des entreprises contrevenant aux engagements RSE, peut alors se révéler dissuasive, en particulier pour les entreprises à forte notoriété, dont certaines ont choisi de pratiquer le green-hushing en s’abstenant de toute communication quant à leurs progrès en matière d’actions envers le climat.

Nous évoquerons plus particulièrement dans notre prochaine Newsletter la question de la mise en cause de la responsabilité encourue par les entreprises défaillantes dans la mise en œuvre de leur politique RSE.

A suivre donc …

Jacques Perotto, Associé et Maxime Hermes, Counsel