Clap de fin pour les « arrêts de travail dérogatoires Covid-19 » au profit du régime de l’activité partielle ?

28 avril 2020
Jacques Perotto, Benoît Dehaene et Quentin Kéraval

Dans un communiqué de presse du 17 avril dernier, le Gouvernement s’est engagé à « assurer une indemnisation adaptée des arrêts de travail rendus nécessaires par la crise sanitaire, que ce soit pour les arrêts de travail pour garde d’enfants ou pour les arrêts de travail délivrés aux personnes vulnérables présentant un risque accru de développer des formes graves de la maladie ainsi qu’aux personnes cohabitant avec ces personnes vulnérables ».

Dans la continuité de cette annonce, l’article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, entérinant l’amendement n°457 déposé par le Gouvernement, vient modifier et repenser la logique de prise en charge de certains salariés bénéficiant jusqu’à lors des nouveaux « arrêts de travail dérogatoires Covid-19 ».

Quels sont les arrêts de travail dérogatoires concernés par ce basculement dans le régime de l’activité partielle ?

Aux termes de l’article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sont placés en position d’activité partielle les salariés se trouvant dans l’impossibilité de continuer à travailler pour l’un des motifs suivants :

– Le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d’infection au virus SARS-CoV-2 ;

– Le salarié partage le même domicile qu’une personne vulnérable susvisée ;

– Le salarié est parent d’un enfant de moins de seize ans ou d’une personne en situation de handicap faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile.

Avec la réouvertures des établissements scolaires annoncée au 11 mai prochain, ces situations seront nécessairement amenées à se réduire à compter de cette date.

Contrairement à l’amendement n°457 précité, l’article 20 de la loi n’exclut pas expressément du dispositif les salariés isolés du fait de leur contact rapproché avec une personne malade du COVID-19 ou de leur retour d’une zone de circulation active du virus SARS-CoV-2 ;

A contrario, quels sont les travailleurs exclus de ce basculement dans le régime de l’activité partielle ?

Sont donc exclus de ce dispositif et, par conséquent, continuent d’être indemnisés selon les conditions actuellement en vigueur :

– Les travailleurs indépendants ;

– Les fonctionnaires et les agents contractuels de droit public.

A partir de quand s’appliqueront ces dispositions ?

Ces dispositions s’appliqueront, à compter du 1er mai 2020, quelle que soit la date du jour de début de l’arrêt de travail et ce :

– Jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020 pour les salariés vulnérables et ceux partageant le même domicile qu’une personne vulnérable ;

– Pour toute la durée de la mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile concernant les salariés d’un enfant de moins de seize ans.

Comment gérer les arrêts de travail dérogatoires Covid-19 jusqu’au 30 avril prochain ?

Conformément à l’article 2 du décret du 16 avril 2020 (n°2020-434), le montant de l’indemnité complémentaire (IC) des salariés en arrêts de travail dérogatoires est maintenu à 90% de la rémunération brute, sous déduction des IJSS, et ce quelle que soit la durée totale de l’indemnisation et l’ancienneté du salarié.

Ces dispositions sont rétroactives et s’appliquent aux arrêts de travail dérogatoires Covid-19 depuis le 12 mars 2020, et ce quelle que soit la date du 1er jour de l’arrêt de travail.

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A titre informatif, ledit décret du 16 avril 2020 (n°2020-434) prévoit également :

– Un alignement des délais de carence applicables aux IC sur ceux applicables au IJSS en fonction (i) de la nature de l’arrêt de travail (de droit commun ou dérogatoire) et (ii) de sa date (antérieure ou postérieure au 24 mars 2020).

– L’absence de prise en compte des arrêts de travail tant de droit commun que dérogatoires Covid-19, en cours au 12 mars et ceux ayant commencé postérieurement, pour l’appréciation de la durée maximale d’indemnisation au cours de 12 mois.

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Quelles seront les conséquences opérationnelles à compter du 1er mai prochain ?

Les salariés entrant dans le périmètre d’application de l’amendement n°457 :

– Seront placés en activité partielle à compter du 1er mai prochain ;

Cesseront, à cette date, de bénéficier des IJSS et des IC, non cumulables avec l’indemnité spécifique d’activité partielle.

Les salariés concernés percevront ladite indemnité spécifique, sans qu’il ne soit nécessaire de caractériser les conditions légales du chômage partiel, à savoir :

– Soit la fermeture temporaire de leur établissement ou partie d’établissement ;

– Soit la réduction de l’horaire de travail en deçà de la durée légale de travail.

Comme pour l’ensemble des salariés placés en activité partielle :

– Ces nouveaux bénéficiaires percevront une indemnité à hauteur de 70% du salaire brut, (environ 84% du salaire net) dans la limite de 4,5 SMIC ;

– Maintien de 100 % du salaire pour les salariés rémunérés au niveau du SMIC ;

– L’indemnité d’activité partielle sera directement versée par l’employeur, à échéance classique de paie ; ce dernier bénéficiera par la suite du versement de l’allocation afférente.

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A titre informatif, il conviendra, le cas échéant, de faire notamment application :

o Du décret du 16 avril 2020 (n° 2020-435) qui est venu préciser :

– Les règles d’indemnisation d’activité partielle pour les salariés au forfait jours et pour ceux non soumis aux dispositions légales ou conventionnelles, relatives à la durée du travail (VRP, personnels navigants de l’aviation civile, pigistes, salariés à domicile rémunérés à la tâche, les intermittents du spectacle et mannequins) ;

– Les modalités de prises en compte « d’éléments de rémunération variables ou versés selon une périodicité non mensuelle » pour le calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle.

o De l’article 7 de l’ordonnance du 22 avril 2020 n°2020-460 disposant qu’il « est tenu compte des heures supplémentaires prévues par la convention individuelle de forfait en heures ou par la convention ou l’accord collectif (…) pour la détermination du nombre d’heures non travaillées indemnisées ».

Attention : la convention ou l’accord doivent être obligatoirement antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance pour bénéficier de l’application de l’article 7.

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Selon le Gouvernement, ce basculement se veut « simple et protecteur » des salariés en ce qu’il a pour objectif de pallier la dégressivité du niveau d’indemnisation des arrêts de travail en fonction de leur durée.

Néanmoins, à ce jour de nombreuses questions pratiques restent encore en suspens :

– L’employeur devra-t-il faire une demande spécifique de prise en charge au titre de l’activité partielle sur le site dédié en créant, le cas échéant, ses identifiants et un espace numérique sécurisé ?

– Une case dédiée pour justifier ce type de demande de prise en charge sera-t-elle créée sur le site dédié ?

– L’employeur devra-t-il personnellement informer la CPAM du bénéfice de l’activité partielle pour des salarié bénéficiant, avant le 1er mai prochain, d’IJSS ?

Sous réserve des précisions règlementaires annoncées par l’article 20, il nous semble que la responsabilité de ce basculement reposera effectivement sur les épaules de l’employeur qui devra procéder aux démarches en ligne sur le site dédié en créant, pour une première demande, son espace sécurisé.

A ce stade, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) a néanmoins publié, le 27 avril dernier, une note synthétique des démarches à réaliser en vue du basculement.

En outre, la CPAM a également rédigé deux fiches pratiques détaillant les modalités pour chaque situation qui sont disponibles en téléchargement :

– Pour la garde d’enfant ;

– Pour les personnes vulnérables.

Dès lors, se dirige-t-on vers une individualisation des demandes d’activité partielle ?

Toujours dans son communiqué de presse du 17 avril dernier, le Gouvernement a annoncé de nouvelles adaptations à venir du dispositif de l’activité partielle, sans pour autant en préciser officiellement, à ce stade, leurs natures.

C’est dorénavant chose faite : L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 permet de placer une partie seulement des salariés de l’entreprise, d’un établissement, d’un service ou d’un atelier, y compris ceux relevant de la même catégorie professionnelle, en position d’activité partielle ou d’appliquer à ces salariés une répartition différente des heures travaillées et non travaillées.

Pour ce faire, l’individualisation doit être :

– Prévue (i) par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou d’accord de branche ; ou (ii) en l’absence d’accord collectif, après avis favorable du CSE ;

Les modalités de recours à l’individualisation de l’activité partielle, en ce qu’elles octroient un véritable droit de véto aux partenaires sociaux, devront donc nécessairement se faire dans une logique de dialogue social.

– Nécessaire pour assurer le maintien ou la reprise d’activité.

En outre, l’accord collectif, ou le document soumis au CSE, doit déterminer :

o Les compétences identifiées comme nécessaires au maintien ou à la reprise de l’activité de l’entreprise, de l’établissement, du service ou de l’atelier ;

o Les critères objectifs, liés aux postes, aux fonctions occupées ou aux qualifications et compétences professionnelles, justifiant la désignation des salariés maintenus ou placés en activité partielle ou faisant l’objet d’une répartition différente des heures travaillées et non travaillées ;

o Les modalités et la périodicité, qui ne peut être inférieure à trois mois, selon lesquelles il est procédé à un réexamen périodique des critères susmentionnés afin de tenir compte de l’évolution du volume et des conditions d’activité de l’entreprise en vue, le cas échéant, d’une modification de l’accord ou du document unilatéral ;

o Les modalités particulières selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés concernés ;

o Les modalités d’information des salariés de l’entreprise sur l’application de l’accord pendant toute sa durée.

Jacques Perotto, Benoît Dehaene et Quentin Kéraval, Avocats en droit social.