Du bon usage de la mention « made in France » … pour écarter une faute de concurrence déloyale mieux indemnisée par les juges

11 décembre 2020
Catherine Robin

« Made in France », « Fabrication française », « Fabriqué en France » …. les mentions de ce type connaissent un regain d’intérêt pour les producteurs et les industriels dans la course à la distinction des produits par rapport à ceux des concurrents, profitant de la sensibilité des consommateurs, exacerbée en cette période de repli sur soi créée par la pandémie.

L’administration économique vient de publier un guide sur les règles essentielles à connaitre (disponible ici), afin que l’apposition de la mention « Fabriqué en France » ne soit pas répréhensible au titre des pratiques commerciales trompeuses (art. L 121-1 et s. du code de la consommation) ou en tant que tromperie sur l’origine (art. L. 413-8 du code de la consommation), ni prohibée par les dispositions douanières comme étant un marquage frauduleux de l’origine à l’importation (art. 39 du code des douanes).

Pour les produits non alimentaires, les entreprises sont invitées à se reporter aux règlements européens relatifs à l’origine douanière non préférentielle afin de déterminer la « nationalité » du produit concerné. Lorsque plusieurs pays interviennent dans le processus de fabrication, le produit est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation substantielle (1), économiquement justifiée (2), effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important (3) (circulaire du 13 mai 2016). En d’autres termes, un produit non alimentaire peut bénéficier d’une mention « made in France » ou son équivalent, si sa dernière transformation substantielle a été réalisée en France. Selon la catégorie de produits concernée, la notion de « dernière transformation substantielle » se traduit par une transformation (ouvraison pour le textile) spécifique, un changement de la position tarifaire du produit ou un critère de valeur ajoutée.

Apposer une mention du type « Fabrication française » relève de la liberté du producteur et de l’industriel, et se distingue des labels et marques collectives tels que « Origine France Garantie », créés par des professionnels ou des structures privées et qui ont pour fonction d’identifier l’origine de produits émanant d’un groupement d’acteurs (association, groupement de fabricants, de producteurs ou de commerçants, personne morale de droit public) autorisé à l’utiliser en vertu d’un règlement d’usage.

Les contrôles procèdent de l’administration économique (la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, DGCCRF) et de l’administration des douanes (la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects, DGDDI).

Outre les sanctions pénales[1], l’utilisation erronée d’une mention du type « made in France » peut avoir des conséquences civiles lourdes si un concurrent introduit une action en concurrence déloyale sur ce fondement.

En effet, la Cour de cassation a admis pour la première fois cette année que le préjudice causé par une pratique trompeuse peut être indemnisé en tenant compte, non pas du gain manqué ou des pertes subies par le concurrent malheureux, mais des économies réalisées par le concurrent déloyal (Cass. com. 12 fév. 2020, n°17-31614).

Dans cette affaire, une cristallerie reprochait à un concurrent de présenter dans ses catalogues des produits en cristal mélangés à des produits en verre, en cristallin ou luxion fabriqués en Chine avec une mention « made in France » afin de laisser croire que l’ensemble était en cristal. Condamné pour concurrence déloyale par pratique commerciale trompeuse, ledit concurrent a été condamné à payer une indemnité calculée en considération de l’avantage concurrentiel indu et de l’économie injustement réalisée (en référence à ses charges de personnel). La Cour de cassation approuve le raisonnement des premiers juges qui s’écarte de l’analyse traditionnelle en matière de concurrence déloyale consistant à évaluer le préjudice réparable par les gains manqués, la baisse des ventes, la diminution du chiffre d’affaires, des commandes, les pertes de marge, les pertes de valeur …

La solution mérite d’être approuvée dans la mesure où certains actes de concurrence déloyale ont des conséquences négatives pour la victime qui sont aisément quantifiables, comme les détournements de clientèle ou la désorganisation de l’entreprise, tandis que d’autres, comme le parasitisme ou le non-respect d’une règlementation obligatoire, comme en l’espèce, « sont plus durs à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépense disproportionnées au regard des intérêts en jeu ».

Ainsi, cette méthode prend en considération la faute déloyale qui enrichit son auteur, puisqu’il réalise des économies en profitant d’un avantage concurrentiel auquel il n’a pas droit, à l’instar du contentieux de la contrefaçon qui prend déjà en considération les économies réalisées par le contrefacteur sur les frais de conception et de promotion (art. L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, introduit en 2019).

L’action en concurrence déloyale trouve de ce fait un pouvoir attractif déjà initié par la jurisprudence selon laquelle le préjudice s’infère nécessairement de l’acte déloyal. Il ne restait plus qu’à lui conférer une méthode adéquate d’évaluation du préjudice qui permette non seulement d’indemniser la victime mais aussi de décourager les actes déloyaux. C’est chose faite avec cet arrêt important de la Cour de cassation.

Catherine Robin, Associée en charge du département Distribution

Ambre Luciak, juriste

[1]Pratique trompeuse : emprisonnement de deux ans et amende de 300 000 euros (personne physique) ou 1 500 000 euros (personne morale), ces montants pouvant être portés à 10 % du chiffre d’affaires annuel, ou à 50 % des dépenses engagées (art. L. 132-2 du code de la consommation). Tromperie sur l’origine : emprisonnement de deux ans et amende de 300 000 euros (personne physique) ou 1 500 000 euros (personne morale, art. L. 451-15 du code de la consommation).