Drones équipés de caméras : avant l’expérimentation des Jeux Olympiques, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat en valident le principe

23 juin 2023
Frédéric Saffroy et Alice Bastien

Les drones équipés de caméras sont licites

Le 24 mai dernier, le Conseil d’Etat statuant en référé a rejeté la demande de suspension du décret d’application[1] encadrant les traitements, par les forces de l’ordre, des données issues des drones équipés de caméras.

Les articles L.242-1 et s. du Code de la sécurité intérieure, modifiés en janvier 2022[2], autorisent désormais la police nationale, la gendarmerie nationale, les militaires, les agents des douanes et les sapeurs-pompiers à utiliser des caméras installées sur des aéronefs dans l’exercice de leurs missions, au regard des circonstances de chaque intervention. Ces captations, encadrées par la loi et par décret, sont soumises à une autorisation préalable du préfet. Elles constituent également des traitements de données personnelles au regard de la loi Informatique & Libertés et du Règlement général sur la protection des données (« RGPD »).

Bien que les finalités aient été prévues par la loi (prévention des atteintes à l’ordre public, sécurité des personnes et des biens, sécurité des rassemblements sur la voie publique, prévention d’actes de terrorisme, secours aux personnes, etc.), le Conseil constitutionnel en avait limité les conditions de mise en œuvre[3] avec, par exemple, l’interdiction de captation du son ou de reconnaissance faciale, en temps réel ou différé.

En 2022, le Conseil constitutionnel avait ainsi relevé – en une réserve interprétative – que

« l’autorisation requise ne saurait être accordée qu’après que le préfet s’est assuré que le service ne peut employer d’autres moyens moins intrusifs au regard du droit au respect de la vie privée ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents, et elle ne saurait être renouvelée sans qu’il soit établi que le recours à des dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d’atteindre la finalité poursuivie ».

En outre, « ces dispositions ne sauraient être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l’analyse des images au moyen d’autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés ».

Prenant acte de ces réserves et des conditions très strictes mises à l’utilisation des drones équipées de caméras, le Conseil d’Etat décide que les moyens soulevés par les demandeurs ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté, lequel, pris après avis de la CNIL, détaille les procédures permettant de garantir la protection de la vie privée et les droits des personnes filmées. La décision au fond interviendra dans les prochains mois.

L’expérimentation des caméras « intelligentes » est également licite

Cette décision intervient dans le contexte des futurs jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (les « JO »), pour lesquels une loi spéciale a été adoptée le 19 mai 2023[4]. Son article 10 prévoit, à titre expérimental jusqu’au 31 mars 2025, la possibilité de recourir à des traitements algorithmiques des images « collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection autorisés sur le fondement de l’article L. 252-1 du code de la sécurité intérieure ou au moyen de caméras installées sur des aéronefs autorisées sur le fondement du chapitre II du titre IV du livre II du même code, dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords ainsi que dans les véhicules et les emprises de transport public et sur les voies les desservant ».

Ces traitements algorithmiques ont pour finalité de « détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en œuvre des mesures nécessaires » par les forces de l’ordre, de secours et de transport. Cette expérimentation est elle-même circonscrite : « à la seule fin d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l’ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes ».

Objet d’une nouvelle contestation, cette expérimentation a conduit une fois encore le Conseil constitutionnel à se prononcer sur les caméras embarquées sur des drones, en prenant en compte les fonctionnalités de détection d’évènements. Au regard des « garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée » prévues par la loi, le Conseil valide ces dispositions[5].

Il réitère néanmoins ce qu’il considère comme des « lignes rouges » à ne pas franchir et considère comme illicites :

  • la captation du son
  • l’utilisation pour les risques d’atteinte aux biens
  • l’identification faciale ou biométrique, en temps réel ou différé,
  • le rapprochement ou l’interconnexion avec d’autres fichiers,
  • le constat d’infractions.

Au regard des deux décisions du Conseil constitutionnel et de ces lignes rouges, il est probable que le Conseil d’Etat n’ait d’autre choix, au fond, que de constater la légalité du décret respectant ces principes et préconisations.

On ne peut que constater que l’encadrement de l’utilisation des dernières technologies (captation du son et de l’image, géolocalisation, reconnaissance faciale, reconnaissance d’objet, de lieux ou d’œuvres, intelligence artificielle générative, etc.) est en l’état plus strict pour les forces de l’ordre que pour le public, compte tenu des potentielles conséquences sur les libertés individuelles. Il reviendra alors aux magistrats de prononcer des sanctions exemplaires, dans le respect du Code pénal, quand ces mêmes technologies seront utilisées par des individus pour nuire à la sécurité, tant physique que psychologique, des personnes.

Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à contacter l’équipe Protection des données personnelles.

Frédéric Saffroy, Associé et Alice Bastien, Avocat


[1] Décret n°2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative.

[2] Loi n°2022-52 du 24 janvier 2022, dite relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (« RPSI »).

[3] Décision n°2021-834 DC du 20 janvier 2022.

[4] Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

[5] Décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023.