Concurrence – indemnisation de la victime d’une pratique anticoncurrentielle
Catherine Robin & Pauline Marques
La CNAM obtient une indemnisation de plus de 150 millions d’euros en réparation des préjudices causés par des pratiques anticoncurrentielles de SANOFI contre les génériques du médicament Plavix®.
L’auteur d’un abus de position dominante peut être condamné non seulement au paiement d’une amende, mais également à indemniser toute personne – concurrent, fournisseur, client, consommateur – qui a subi un préjudice directement causé par cet abus, sur le fondement des règles de la responsabilité civile.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’arrêt rendu ce 24 septembre 2025 par la cour d’appel de Paris.
L’abus de position dominante de SANOFI avait été sanctionné d’une amende de 40,6 millions d’euros par l’Autorité de la concurrence en 2013 (décision 13-D-11 du 14 mai 2013). Il s’agissait de pratiques de dénigrement mises en place par SANOFI pour contrer les conséquences de la fin du brevet protégeant le Plavix®, limiter l’entrée des génériques sur le marché et favoriser ses propres produits SANOFI. En effet, pour influencer les médecins et les pharmaciens afin d’enrayer le mécanisme de substitution générique du Plavix® SANOFI était intervenue : (a) au stade de la prescription, en obtenant des médecins qu’ils apposent sur l’ordonnance la mention « non substituable » et, (b) au stade de la substitution, en incitant les pharmaciens à substituer Plavix® à son propre générique.
L’instruction avait montré que ces pratiques avaient freiné de façon substantielle le processus de substitution de Plavix® par des génériques. Or, le prix d’un générique étant sensiblement inférieur au prix du princeps et Plavix® étant un poste de remboursement significatif de l’assurance maladie, les économies envisagées du fait de l’arrivée des génériques n’avaient pas été réalisées. L’atteinte à la concurrence avait été jugée grave, justifiant la lourde amende de 40,6 millions d’euros.
La CNAM considérait quant à elle avoir été victime de ces pratiques puisqu’elle avait été contrainte d’assumer des remboursements des assurés pour un montant plus élevé, et d’octroyer une rémunération plus importante aux pharmaciens d’officine. En appel et après une expertise judicaire, la cour a jugé que les pratiques de SANOFI ont entraîné des conséquences concrètes et significatives sur les professionnels de santé pendant près de 11 années après leur cessation. Elle a fixé le montant du préjudice financier subi par la CNAM à ce titre à 126 222 994 euros, augmenté d’un préjudice financier additionnel de 24 525 011 euros.
Toute personne qui est victime d’une pratique anticoncurrentielle peut engager la responsabilité civile de l’auteur de cette pratique. L’action peut être initiée aussi bien par des particuliers que par des entreprises, avec la possibilité d’une action de groupe pour les consommateurs. Trois conditions doivent être réunies. (1) Une faute. Si la pratique a été sanctionnée par une autorité de concurrence, comme en l’espèce, la preuve est facilitée. (2) Un préjudice et (3) un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice allégué. Il existe une présomption de préjudice qui ne dispense pas de prouver la nature et l’étendu du dommage subi. Cette preuve peut être apportée par une expertise ou par un avis de l’Autorité de la concurrence.
Catherine Robin, avocat associé, Pauline Marques, avocat – Alerion, Département Concurrence Distribution