Régime Dutreil : l’administration publie ses commentaires définitifs et revient sur plusieurs positions contestées

20 janvier 2022
Julien Lebel et Christophe Gerschel

Instauré par la Loi de finances pour 2000 pour les successions (L. n° 99-1172, 29 déc. 1999, art. 11), et remanié depuis à plusieurs reprises, le dispositif Dutreil est destiné à faciliter la transmission des entreprises par voie de donation ou de succession.

Lorsque l’entreprise est constituée sous forme de société (et non pas sous forme d’entreprise individuelle, qui peut toutefois également bénéficier du régime Dutreil, dans des conditions spécifiques), le dispositif repose sur un engagement pris par les associés de conserver collectivement une participation au moins égale, pour les sociétés non cotées, à 34% des droits de vote, et 17% des droits financiers. Pour les sociétés cotées, ces pourcentages sont ramenés à 20% (des droits de vote) et 10% (des droits financiers). Succède ensuite à cet engagement collectif un engagement individuel, souscrit par les bénéficiaires lors de la transmission (donataires ou héritiers).

Le dispositif est très avantageux sur le plan fiscal, puisqu’il permet de bénéficier d’un abattement de 75 % sur la valeur des titres transmis, auquel s’ajoute une réduction de droits de 50% lorsque les titres sont donnés en pleine propriété avant les 70 ans du donateur.

A titre d’illustration, pour un couple marié sous un régime de communauté de biens, qui n’a pas réalisé de donation par le passé, et qui souhaite transmettre (en pleine propriété) à ses quatre enfants 50% des titres d’une société valorisée à 12 millions d’euros (soit une donation portant sur 6 millions d’euros de valeur de titres au total), le dispositif Dutreil permettra de limiter les droits de donation à environ 63.000 euros, ce qui représente un peu plus d’1% de la valeur des titres transmis. A titre de comparaison, une donation équivalente ne pouvant pas bénéficier du dispositif Dutreil entrainerait des droits supérieurs à 1,1 million d’euros.

Naturellement, le montant des droits sera différent en fonction des situations spécifiques (outre qu’il dépendra de la valeur des titres donnés, le montant des droits variera notamment en fonction du nombre d’enfants, du régime matrimonial des époux, de la réalisation ou non de donations par le passé, de l’âge du donateur, …).

La Loi de finances pour 2019 a aménagé plusieurs aspects du dispositif, afin de permettre par exemple l’apport de titres soumis à engagement collectif à une holding de reprise, ou encore la possibilité de prendre un engagement Dutreil unilatéral dans des sociétés unipersonnelles (EURL, SASU).

Cette réforme a d’abord été commentée par l’administration fiscale le 6 avril 2021, dans une doctrine soumise à consultation publique. Les commentaires des professionnels ne s’étaient pas fait attendre. En effet, alors même que la Loi de finances pour 2019 avait pour ambition d’apporter des assouplissements à un dispositif complexe, la doctrine administrative apportait quant à elle un certain nombre de restrictions, en contradiction parfois avec les précédents commentaires administratifs, y compris sur des sujets qui n’étaient pourtant pas concernés par la dernière réforme.

L’administration fiscale a également profité de la mise à jour de ses commentaires administratifs pour y intégrer certaines jurisprudences récentes et apporter quelques clarifications.

Le 21 décembre dernier, l’administration a publié ses commentaires définitifs. On saluera les avancées par rapport aux commentaires qui avaient été publiés en avril, qui permettent de clarifier un certain nombre de sujets.

Les commentaires publiés en avril, qui n’ont pas été modifiés sur ce point, avaient ainsi permis de clarifier en particulier la nature des activités éligibles.

Si la suppression des commentaires administratifs relatifs à l’ISF (suite à son remplacement par l’IFI), auxquels renvoyaient la doctrine administrative en matière de donation Dutreil, avait créé un doute quant à la possibilité de transmettre en régime Dutreil une activité de location meublée, ce point est désormais tranché : l’activité de location meublée, même exercée à titre professionnel, n’entre pas dans le champ du dispositif, qui exclut également les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaires à leur exploitation, ou encore les activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles.

Lorsque la société exerce plusieurs activités, qui n’entrent pas toutes dans le champ du dispositif, le régime Dutreil est applicable uniquement lorsque l’activité éligible peut être considérée comme prépondérante. Sur ce point, l’administration prend acte de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat (CE, 23 janvier 2020, n° 435562), qui avait annulé les critères fixés par la doctrine administrative, après avoir constaté qu’ils n’étaient pas toujours pertinents, en fonction des activités exercées. La doctrine administrative précise toutefois que les anciens critères restent opposables par le contribuable à l’administration, ce dont on peut se réjouir. Ainsi, si le chiffre d’affaires procuré par l’activité éligible représente plus de 50% du chiffre d’affaires total, et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50% de la valeur vénale de l’actif brut total, les critères de prépondérance seront considérés comme remplis, et la société sera donc éligible au régime Dutreil au regard des activités exercées. Si ces critères ne sont pas remplis, le bénéfice du régime Dutreil ne sera pas automatiquement écarté. Il faudra toutefois, comme y invite la jurisprudence du Conseil d’Etat précitée, examiner la question « en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».

S’agissant du cas particulier des holdings animatrices, qui a déjà donné lieu à un contentieux nourri, les commentaires intègrent les avancées de l’arrêt rendu en 2020 par la Cour de cassation (Cass. Com., 14 octobre 2020, n° 18-17.955), et précisent désormais que le caractère principal de l’activité d’animation de groupe d’une société holding doit être retenu notamment lorsque la valeur vénale des titres de ses filiales exerçant une activité éligible représente plus de la moitié de son actif total.

S’agissant des évolutions apportées par les commentaires définitifs de décembre, par rapport à ceux qui avaient été soumis à consultation publique en avril dernier, et sans revenir en détails sur certains aspects techniques, on soulignera les deux points suivants :

1. En cas de transmission par société interposée, l’auteur de la transmission (donateur ou défunt) n’est pas obligé d’être signataire du pacte, ce qui suppose de détenir une participation dans la société éligible au dispositif

Le dispositif Dutreil est réservé aux sociétés qui exercent une activité « opérationnelle » (de nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale), ce qui exclut en particulier du dispositif les sociétés holdings, lorsqu’elles ne sont pas animatrices de leur groupe.

Il est toutefois possible de transmettre en régime Dutreil des sociétés opérationnelles éligibles, détenues par l’intermédiaire d’une société qui ne remplit pas les conditions du dispositif. Ainsi, en cas de donation des titres d’une société holding (non animatrice), il sera possible d’exonérer partiellement la donation, à concurrence de la valeur des titres détenus par la holding dans ses filiales commerciales qui remplissent les conditions du dispositif Dutreil.

Dans sa position initiale, l’administration fiscale imposait à l’auteur de la transmission qu’il soit signataire du pacte Dutreil, ce qui impliquait qu’il dispose obligatoirement de titres directement dans les sociétés éligibles (et non pas uniquement par l’intermédiaire d’une société holding interposée). Cette position s’opposait à toute logique d’organisation d’un groupe de sociétés, et on comprenait mal sa raison d’être.

Dans ses commentaires définitifs de décembre dernier, l’administration n’exige plus le respect de cette condition.

2. Pacte réputé acquis : une codirection possible pour une transmission progressive

Sous certaines conditions, il est possible de se dispenser de la rédaction d’un engagement collectif (pacte Dutreil), et de faire commencer l’engagement individuel de conservation dès la donation. Ce régime du pacte réputé acquis impose que l’un au moins des bénéficiaires de la donation soit dirigeant de la société au moment de la donation, et durant les 3 années suivantes, cette condition ne pouvant jamais être remplie par le donateur lui-même (contrairement à la situation dans laquelle un engagement collectif avait été signé).

De manière surprenante, dans ses commentaires, l’administration s’opposait à une codirection de la société, et exigeait du donateur qu’il renonce à son mandat social. Cette condition s’avérait très contraignante, en particulier en cas de transmission partielle des titres, et de volonté du donateur d’accompagner progressivement la transmission de l’entreprise à la génération suivante.

Dans la version définitive, l’administration fiscale renonce à cette condition et admet, en cas d’engagement réputé acquis, que la société puisse être codirigée par le donateur et l’un des donataires.

Ces commentaires, ainsi que les derniers assouplissements apportés au dispositif, renforcent encore l’attractivité du dispositif Dutreil. En cas de volonté de transmettre son entreprise, il est donc recommandé d’envisager ce sujet sans attendre, d’autant plus que la pérennité du dispositif, dans sa version actuelle, n’est pas garantie. La question d’une refonte du dispositif dans un sens moins favorable sur le plan fiscal est souvent évoquée, comme l’illustre l’étude publiée récemment par le Conseil d’Analyse Economique, qui s’est montré particulièrement critique à l’égard du dispositif Dutreil, au regard de son coût pour les finances publiques.

Les membres de notre équipe fiscale sont à votre disposition pour vous accompagner dans ce projet, et vous aider à définir les contours d’une éventuelle transmission dès 2022, ses conséquences fiscales, mais également les enjeux de cette transmission sur la gouvernance de votre entreprise et vos droits financiers.

Julien Lebel, Counsel et Christophe Gerschel, Associé.