Négociations commerciales

23 février 2023
Catherine Robin et Johanna Guerrero

Fournisseurs, distributeurs : prenez garde !

La convention unique doit être signée : un échange de courriels n’est pas suffisant

Cette précision a été apportée dans le jugement qui a condamné la centrale d’achat Eurelec Trading, commune à l’enseigne E. Leclerc et au distributeur allemand Rewe, au paiement d’une amende record de 6,34 millions d’euros pour avoir commis pas moins de 21 manquements à son obligation de conclure avec ses fournisseurs des conventions uniques avant le 1er mars de l’année de leur application (TA, Paris 23 juin 2022, n° 2108979/2-1).

Selon le jugement, seule la signature de la convention unique apporte la preuve de sa conclusion. Sont rejetés les arguments de la centrale selon lesquels les « échanges de consentements » et les « accords de principe » étaient matérialisés par l’envoi de courriers électroniques ou la passation de commandes.

A noter : le tribunal cumule les amendes prononcées pour chacun des 21 manquements suivant en cela la solution du Conseil Constitutionnel du 25 mars 2022. Le Tribunal relève que le quantum de la sanction, fixé sur le chiffre d’affaires prévisionnel, n’est pas critiquable, compte tenu du nombre de manquements constatés et du caractère délibéré de ceux-ci résultant de la volonté de la centrale de se soustraire au droit français.

Comment se mettre d’accord sur le prix dans un contrat à durée déterminée et faire face aux augmentations des coûts ?

Plusieurs solutions sont possibles :

  • Obtenir de son partenaire une nouvelle négociation et le convaincre d’accepter un nouveau prix, à la hausse. C’est la seule solution lorsque le contrat prévoit un prix fix, sans clause de révision.
  • Prévoir dans le contrat une obligation de négocier de nouveau les conditions financières. C’est la clause de rendez-vous ou la clause de renégociation ou de revoyure. Les parties sont contractuellement tenues de se rencontrer et de discuter d’un nouveau prix.

    Elles veilleront à mentionner dans le contrat quelles sont les circonstances qui déclenchent l’obligation de réunion, une obligation de discussion de bonne foi et les conséquences d’un échec.

    Ce mécanisme n’aboutit pas forcément à un accord. Le fournisseur est en principe tenu de justifier de l’augmentation de ses coûts, tout en souhaitant conserver secret les composants de son prix de revient : l’exercice est délicat, mais pas impossible. Dans une relation équilibrée, l’acheteur a aussi intérêt à ce que la relation soit satisfaisante pour son contractant : la modification du prix ne sera peut-être pas aussi importante que celle souhaitée par le vendeur.
  •  Le contrat prévoit une révision automatique du prix : c’est la solution la plus efficace … et la moins pratique. Elle pose la question du choix de l’indice de référence qui doit être en lien avec l’activité des parties ou l’objet du contrat. La clause doit également prévoir les conditions de sa mise en œuvre de la manière la plus claire possible afin que son application soit aérée.

    La loi a rendu obligatoire la révision automatique du prix dans le contrat de vente de produits agricoles (C.rural et de la pêche maritime art. L.631-24, III al. 1 à 8).

(Encore !) une nouvelle loi pour encadrer les relations commerciales

La proposition de loi n° 58 a pour objectif affiché : sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation.

Les moyens qu’elle propose :

  • Confirmer le caractère de loi de police aux dispositions du Code de Commerce relatives à la transparence et autres pratiques restrictives de concurrence (Titre IV du Livre IV) afin qu’il soit clair qu’elles s’appliquent à toute relation contractuelle dès lors que les produits qu’elle vise sont commercialisés en France ; autrement dit, la loi à venir viendrait contrer le phénomène d’évasion juridique consistant à délocaliser la négociation contractuelle en Belgique (comme Eurelec Trading) ou en Suisse (Eureca).
  • En cas d’échec des négociations commerciales et de non-signature d’une convention unique au 1er mars : aménagement du préavis de rupture qui doit tenir compte des « conditions économiques du marché » sur lequel opèrent les parties, notamment pour la fixation du prix applicable pendant le préavis. En cas de désaccord, obligation de saisir le médiateur. En cas d’accord entre les parties suite à la médiation, le prix convenu s’applique rétroactivement aux commandes passées pendant la durée de la médiation. En cas d’échec de la médiation, saisine du tribunal compétent. Cette solution viendrait clarifier la situation actuelle selon laquelle l’absence d’accord au 1er mars conduit au maintien des livraisons par le fabricant au dernier prix convenu, à savoir celui de l’année précédente, pendant plusieurs mois.
  • En matière de produits alimentaires, une certification par un tiers indépendant sur la valorisation des matières premières agricoles entrant dans la composition des produits alimentaires, qui interviendrait avant la signature de la convention unique et s’ajouterait à la qualification prévue à l’issue de la conclusion du contrat (C.com art. L.441-1-1 I 3° et L.443-8 II).

Après avoir été d’abord présentée devant l’Assemblée Nationale, la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par le Sénat le 15 février 2023 et sera étudiée en commission mixte paritaire le 8 mars prochain donc après la date butoir pour la conclusion des conventions uniques pour l’année 2023.

Catherine Robin, Associée et Johanna Guerrero, Collaboratrice en Droit de la distribution, concurrence et contrats.