Intrapreneuriat (1/2) : déconstruction de la relation de travail ou stratégie de développement ?

08 octobre 2019
Jacques Perotto

L’intrapreneuriat a pour finalité de motiver les salariés à se lancer dans des projets innovants en restant dans le cadre de leur relation de travail. Les nombreuses expériences réussies d’intrapreneuriat semblent être une bonne réponse à ceux qui pensent qu’il existe une incompatibilité entre le statut de salarié et l’esprit entrepreneurial, à condition d’en maîtriser les contours juridiques », estime Jacques Perotto, avocat associé au cabinet Alerion. Dans une tribune pour AEF info, il développe les intérêts pratiques que peuvent y trouver l’employeur et les salariés. Il recommande, pour encadrer et favoriser l’innovation en interne, d’adopter une charte. Il détaille les différentes étapes du process, depuis la sélection des idées jusqu’à la mise en œuvre du projet. Les questions pratiques en droit du travail et de la propriété intellectuelle feront l’objet d’une seconde dépêche.

Le concept d’intrapreneuriat n’est pas récent puisque né de la pénurie d’innovation dans les entreprises et les organisations au début des années 80. Dit d’une autre manière, l’intrapreneuriat a pour finalité de motiver les salariés à se lancer dans des projets innovants en restant dans le cadre de leur relation de travail.

Il s’agit donc de la mise en œuvre d’un projet :

– individuel ou collectif,

– pour le compte de l’employeur,

– pendant leur temps de travail, en parallèle avec d’autres missions confiées, elles, expressément par l’employeur,

– sur leur lieu de travail et/ou en dehors. La mise en œuvre du concept d’intrapreneuriat pose, par ailleurs, des questions pratiques en droit du travail et en droit de la propriété intellectuelle qui feront l’objet d’une seconde dépêche. Sont évoqués ici la notion d’intrapreneuriat sous son angle conceptuel ainsi que les intérêts pratiques que peuvent y trouver les entreprises et les salariés.

 

INTRAPRENEURIAT : CONCEPT ET DÉFINITIONS

De nombreuses interrogations et/ou réflexions sont menées quant à la pérennité du contrat de travail en tant que pierre angulaire de la relation de travail et du lien de subordination qui est son pendant. Ainsi parle-t-on de ’déstandardisation du marché du travail, du recours exponentiel au CDD, au temps partiel et au télétravail’. Dans le même temps, la génération Millenials montre des attentes beaucoup plus fortes que les générations précédentes en termes de quête de sens et d’épanouissement au travail qui deviennent des priorités absolues.

À l’heure également où les risques psychosociaux se révèlent particulièrement au sein d’organisations verticales et écrasantes, la capacité d’innovation, l’autonomie et l’initiative individuelle sont apparues comme des remèdes pertinents aux problèmes liés à la santé mentale des collaborateurs dans l’entreprise.

Si le modèle start-up présente toujours autant d’attraits de par l’atmosphère qui règne dans ces structures conviviales et agiles bien différentes des organisations hiérarchisées des grandes entreprises, celui-ci présente pourtant des risques liés à l’aléa de la réussite économique.

Dans ce contexte, l’intrapreneuriat constitue une alternative pour les salariés qui souhaitent préserver la sérénité de la relation de travail tout en leur permettant de la dépasser.

Ainsi, l’intrapreneur se définit souvent comme :

– un salarié jouant un rôle pour l’innovation de l’entreprise équivalent à celui qu’un entrepreneur joue pour sa propre start-up ;

– un rêveur transformant son idée en réalité ;

– le directeur général autoproclamé d’une nouvelle idée ;

– un moteur du changement pour faire d’un business une force pour faire le bien – ’social intrapreneuring’. L’intrapreneuriat n’est pas en revanche :

– un moyen de se séparer d’un collaborateur ou de réduire les effectifs sous couvert de proposer ce type de dispositif ;

– une aubaine pour un salarié de créer sa propre entreprise ’sur le dos de l’employeur’.

 

INTÉRÊTS DE L’INTRAPRENEURIAT

Pour l’employeur, l’intrapreneuriat présente plusieurs intérêts, dont celui qui est au cœur du réacteur de l’entreprise : favoriser l’innovation, élargir sa créativité en recourant aux idées de l’ensemble de ses collaborateurs.

L’objectif est de faire évoluer son ’business model’ et éventuellement de trouver de nouveaux leviers de croissance.

Cela peut également être une alternative à la sous-traitance, ainsi qu’un instrument fort de motivation pour les collaborateurs permettant de conserver et développer les talents en favorisant l’émulation entre eux.

Pour le collaborateur, l’intrapreneuriat permet de développer ses compétences professionnelles, mieux maîtriser sa trajectoire dans l’entreprise en trouvant du sens à ses fonctions par l’alimentation de son quotidien via la conduite d’un nouveau projet induisant des habitudes différentes.

 

CHARTE DÉDIÉE À L’INNOVATION PARTICIPATIVE

Pour encadrer et favoriser l’innovation en interne, un cadre collectif est à prévoir, sans pour autant avoir recours nécessairement à la négociation collective quand celle-ci n’apparaît pas opportune. Favoriser l’intrapreneuriat peut relever d’une initiative unilatérale de l’entreprise non partagée par les partenaires sociaux.

La charte peut alors être un outil adapté à la promotion de la culture d’entreprise, à l’instar des chartes éthiques ou sur le développement durable ; elle présente en outre plusieurs avantages :

– souplesse dans sa mise en œuvre, son adoption et sa modification ;

– pas d’obligation de consulter les salariés sur sa rédaction (même si envisageable dans un objectif de cohésion sociale) ;

– communication aisée : diffusion par affichage sur le lieu de travail, par e-mail, mise à disposition sur l’intranet, livret d’accueil du salarié ;

– levier de la qualité de vie au travail.

 

MODALITÉS DE SÉLECTION DES IDÉES

L’intrapreneuriat est une opportunité que l’entreprise offre au salarié, celui-ci étant libre de la saisir ou pas.

Pour autant, il ne s’agit pas d’un droit inconditionnel et automatique pour le salarié de voir son idée faire l’objet d’une étude approfondie et d’une mise en œuvre concrète par son employeur.

Cette liberté offerte au salarié rencontre donc une limite immédiate qui est celle de l’intérêt de son idée pour l’entreprise et, éventuellement, de sa faisabilité.

D’où la nécessité de mettre en œuvre un process reprenant le déroulement de l’intrapreneuriat, et plus particulièrement la méthode de sélection prévue par la charte qui peut prendre la forme suivante :

 

ÉTAPE 1 : NAISSANCE ET SÉLECTION DE L’IDÉE

Elle n’a aucune conséquence sur le statut du collaborateur. Toute liberté est allouée par la charte au collaborateur d’émettre une idée sur son temps de travail.

 

ÉTAPE 2 : PHASE DE SPRINT / ACCÉLÉRATEUR (DE QUELQUES MOIS À PLUSIEURS ANNÉES)

Il est nécessaire d’allouer du temps et des moyens à cette phase test pour éventuellement aboutir à un résultat positif : l’idée doit être financièrement et commercialement viable.

La prise d’un congé peut être envisagée pour que le collaborateur puisse développer son idée. Nous y préférons la conclusion d’un avenant au contrat formalisant la nouvelle organisation de ses journées de travail (mobilisation du collaborateur à temps plein ou à temps partiel sur le projet).

Si l’étape 2 se révèle concluante :

 

ÉTAPE 3 : DÉVELOPPEMENT DU PROJET (D’UNE À PLUSIEURS ANNÉES)

Elle suppose une modification du contrat de travail. La conclusion d’un avenant doit être formalisée avec le collaborateur pour répartir ses tâches de travail sur la semaine (par exemple 3 jours sur ses tâches originelles et 2 jours consacrés à l’intrapreneuriat ou encore une mobilisation à temps plein sur le projet).

 

ÉTAPE 4 : INTÉGRATION DU PROJET DANS UNE BUSINESS UNIT

Elle entraîne une modification ’définitive’ du contrat de travail. Un avenant est conclu avec le collaborateur formalisant le nouveau poste et les nouvelles fonctions occupées, l’idée issue de l’intrapreneuriat poursuivant sa vie au sein de l’entreprise (création d’un service distinct ou de nouveaux postes pour la faire vivre en interne).

Éventuellement :

ÉTAPE 5 : ESSAIMAGE ENTREPRENEURIAT / START-UP

Les options envisageables en fin d’intrapreneuriat sont : le congé pour création d’entreprise (C. trav., art. L. 3142-105 et suivants) et la rupture conventionnelle homologuée ou la démission.

En conclusion, les nombreuses expériences réussies d’intrapreneuriat, notamment au sein de grandes banques telles que HSBC ou la BNP avec ses ’People Lab’s’, semblent une bonne réponse à ceux qui pensent qu’il existe une incompatibilité entre le statut de salarié et l’esprit entrepreneurial, à condition d’en maîtriser les contours juridiques… »

Jacques Perotto, associé en droit social chez Alerion.

Publié le 30 septembre 2019 sur AEF info.