E-COMMERCE : 20 ans d’une révolution qui continue de défier législateurs et juridictions

22 février 2023
Catherine Robin et Johanna Guerrero

Depuis son apparition dans les années 90, le commerce électronique a révolutionné les habitudes de consommation et les modes de distribution des produits et services dans le monde. Son développement intrinsèquement lié à l’évolution des nouvelles technologies connait une forte croissance depuis deux décennies1.

La consécration du commerce électronique a mis en lumière de nouveaux enjeux (1) auxquels le droit a été contraint de s’adapter (2) notamment pour faire face aux nouveaux opérateurs : la plateforme en ligne (3).

1.     Les enjeux du commerce électronique

Le commerce électronique a fait émerger de nouveaux acteurs, de nouveaux modes de distribution et de nouveaux enjeux qui continuent de challenger les autorités françaises et européennes. La distribution des produits et services ne peut plus se passer de l’internet. Le site internet est devenu indispensable à un tel point qu’aujourd’hui, dans l’Union Européenne 78% des sociétés possèdent un site web2. De la même manière, la part de sociétés françaises qui utilisent les médias sociaux a triplé progressant de 20% en 2013 à 61 % en 20213. Les professionnels, y compris les plus réticents au départ comme les industriels du luxe, se sont pleinement approprié ces nouveaux modes de communication pour les transformer en puissants outils de marketing et de commercialisation de leurs produits et services afin de conquérir de nouveaux clients que leurs marchés géographiques traditionnels ne leur permettaient pas d’atteindre, et établir avec eux des relations ciblées.

Le renforcement de la concurrence entre les producteurs et le renforcement de la transparence des politiques de prix sont éminemment favorables à l’acheteur (consommateur ou professionnel) qui dispose d’une offre accessible à tout moment (sous réserve d’une liaison internet !) et d’un outil de comparaison supérieur à celui du commerce traditionnel.

La stimulation de la concurrence et la transparence comportent néanmoins des risques de déloyauté et de parasitisme qui se sont amplifiés. Les exemples sont multiples. Le consommateur n’hésite pas à comparer les produits et services en ligne avant de les acheter dans un magasin physique. A l’inverse, une fois les conseils obtenus du vendeur personne physique ou la démonstration du produit effectuée dans le point de vente physique, le consommateur commandera le produit en ligne pour bénéficier d’un prix plus attractif ou de la protection de la vente en ligne. Les produits de qualité aux marques notoires ou reconnues sont utilisés comme produits d’appel et vendus en ligne à prix cassé par des revendeurs incontrôlables… Quant à la transparence des prix, elle soumet la tête du réseau de distribution à des tentations de contrôle … incompatibles avec la prohibition des ententes.

2.     Et le droit dans cette révolution ? 

Afin de protéger les consommateurs et d’assurer une concurrence saine, les normes existantes ont été adaptées et de nouvelles règles ont été adoptées. Le cadre normatif issu tant du droit français qu’européen est contraint de s’actualiser sans cesse afin de prendre en compte les constantes évolutions de ce marché.

Les grands principes du droit de la consommation que sont la loyauté et transparence de l’information ont été adaptés. Le commerce électronique a fait basculer la vente à distance dans l’ère numérique4. Des informations spécifiques doivent être fournies au consommateur sur le site internet. La publicité en ligne ainsi que le traitement des données personnelles collectées sont encadrées. Des nouveaux statuts d’hébergeur et d’éditeurs de site internet ont été spécifiquement créés avec un régime de responsabilité qui leur est propre5.

De la même manière dans les rapports entre professionnels et particulièrement dans les réseaux de distribution, le recours effectif à l’internet est protégé : les entraves, directes et indirectes, à son utilisation sont sanctionnées ainsi que les pratiques anticoncurrentielles suscitées par la vente en ligne comme les prix imposés en ligne, la discrimination entre la vente physique et la vente en ligne ou encore le géoblocage6.

3.     Un opérateur omniprésent : la plateforme en ligne

Les plateformes en ligne, apparues dès les prémisses du e-commerce, comme Amazon en 1994 ou encore Booking en 1996, sont devenues aujourd’hui des géants incontournables aussi bien pour les consommateurs que les entreprises utilisatrices de leurs services.

Les affaires Expedia7 et Amazon8 ont mis en lumières leurs abus à l’égard des utilisateurs professionnels. La première imposait notamment aux hôteliers l’obtention automatique de meilleurs conditions tarifaires et offres promotionnelles. La deuxième s’octroyait notamment le droit de résilier discrétionnairement le contrat conclu avec un vendeur professionnel. Le juge français n’a pas hésité à condamner ces pratiques et à sanctionner les plateformes à des amendes de 1 million et 4 millions d’euros.

Le législateur français9 et européen10 encadre l’activité de ces plateformes en les soumettant notamment à des obligations de loyauté et de transparence, et en leur imposant le respect de droits spéciaux pour les consommateurs et la régulation des avis en ligne.

La prochaine étape est européenne avec les deux derniers règlements européens :

  • Digital Service Act (DSA)11, (applicable à partir du 17 février 2024) dont le but est de mieux protéger les internautes européens et atténuer les risques de désinformation et vise à une responsabilisation des plateformes.
  • Digital Market Act (DMA)12 (applicable à partir du 2 mai 2023) : dont le but est de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants du net et en particulier des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon and Microsoft) et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen en leur imposant de nouvelles obligations et interdiction sous peine de lourdes amendes.

Une chose est certaine les évolutions technologiques impactant directement le développement du e-commerce n’ont pas fini de défier les législateurs et juridictions. On pense notamment au développement de l’intelligence artificielle qui va permettre d’accroitre la personnalisation des interactions avec les clients, ou encore la mise en place du web sémantique dit « web 3.0 » encore peu connu du grand public alors qu’il promet de transformer le web en une gigantesque base de connaissance et va certainement poser de nouvelles problématiques en termes de gestion de la sécurité et confidentialité.

Notre équipe est à votre disposition pour vous conseiller et vous accompagner sur vos problématiques liées à la vente en ligne. 

Catherine Robin, Associée et Johanna Guerrero, Collaboratrice en Droit de la distribution, concurrence et contrats.

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[1] Chiffres issus du rapport « Chiffres clés du e-commerce 2022 » de la Fédération E-commerce et Vente à distance (FEVAD)
[2] INSEE « Les entreprises en France – Edition 2022 »
[3] INSEE « Les entreprises en France – Edition 2022 »
[4] Directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »)
[5] Loi n°2004-575, du 21 juin 2004 « pour la confiance dans l’économie numérique »
[6] Règlement (EU) 2022/720 du 10 mai 2022 sur les accords verticaux et les pratiques concertées
[7] CA Paris, 21 juin 2017, RG n°15/18784
[8] Tribunal de commerce de Paris, 2 septembre 2019, RG n°2017/050625
[9] Loi n°2016-1321, du 7 octobre 2016 « pour une République numérique »
[10] Règlement (EU) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne
[11] Règlement (EU) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/EC
[12] Règlement (EU) 2022/1925 du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives 2019/1937 et 2020/1228