Contrefaçon et intelligence artificielle : un équilibre nécessaire à trouver entre protection des créations et innovation à l’heure des algorithmes
Corinne Thiérache
En mai 2025, le tribunal judiciaire de Paris a franchi une étape importante en ordonnant aux principaux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer le site “New DayFr” pour une durée de dix-huit mois, à la suite d’une procédure engagée par une quarantaine de médias français.
Ce site utilisait des algorithmes d’intelligence artificielle pour générer automatiquement des articles à partir de contenus journalistiques publiés en ligne, sans respecter les droits d’auteur ni les obligations légales d’identification des éditeurs. Cette décision illustre la volonté des juridictions françaises de préserver l’intégrité des contenus protégés face à la prolifération des outils d’IA générative.
Plus récemment, le 11 novembre 2025, la chambre spécialisée en droit d’auteur du tribunal régional de Munich a jugé, dans une action initiée en 2024 par la GEMA, société allemande de gestion collective des droits d’auteur musicaux, qu’OpenAI avait porté atteinte aux droits d’exploitation d’auteurs allemands. Les paroles de neuf chansons avaient été utilisées pour entraîner des modèles d’IA, puis restituées de façon reconnaissable aux utilisateurs, ce qui a été qualifié de reproduction illicite. OpenAI soutenait que ses modèles ne stockaient pas d’œuvres, mais le tribunal a estimé que la restitution substantielle des textes démontrait une mémorisation prohibée. Cette décision constitue un tournant dans la protection des créateurs face à l’IA.
En droit français, l’article L.335-2 CPI réprime toute reproduction d’une œuvre sans autorisation. Les éditeurs d’IA invoquaient jusqu’ici l’exception de fouille de textes et de données (TDM), prévue par la directive (UE) 2019/790 et transposée notamment à l’article L.122-3 III CPI, qui autorise la réalisation de copies à des fins d’analyse, sauf opposition expresse de l’auteur. Contrairement au principe général selon lequel l’auteur doit autoriser l’exploitation de son œuvre, cette exception instaure un régime d’opt-out : les titulaires de droits peuvent s’opposer à l’utilisation de leurs œuvres, mais à défaut d’opposition expresse, leur réutilisation est présumée licite. Cette disposition a donc permis, dans la pratique, une exploitation massive d’œuvres protégées pour l’entraînement de modèles d’intelligence artificielle.
Cependant, dans l’affaire GEMA c/ OpenAI, le tribunal a jugé que cette exception ne s’appliquait pas, l’exception de TDM permettant uniquement les copies nécessaires à l’analyse et non la mémorisation et la reproduction d’œuvres. La restitution de paroles protégées excédait ainsi le cadre de l’exception de TDM et constituait une atteinte au droit de reproduction.
En somme, cette décision opère une restriction notable de l’interprétation de l’exception de TDM et reconnaît que le développeur du modèle peut être tenu responsable d’un acte de contrefaçon lorsque les sorties générées par l’intelligence artificielle reproduisent, même partiellement, une œuvre protégée.
L’équipe ALERION en droit de la propriété intellectuelle et droit des technologies de l’information est aux côtés des créateurs et des acteurs du secteur de la technologie pour trouver des modèles économiques pérennes et gagnants pour chacune des parties.