La consultation ponctuelle du CSE sur un projet n’est pas subordonnée à la réalisation préalable de la consultation sur les orientations stratégiques

08 décembre 2022
Jacques Perotto et Quentin Kéraval

Alors que les juges du fond s’opposaient sur la question, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient récemment de trancher le débat jurisprudentiel, mais également doctrinal, relatif à l’articulation des consultations ponctuelles du CSE avec la consultation sur les orientations stratégiques en affirmant clairement leurs autonomies respectives (Cass. Soc., 21 septembre 2022, n°20-23.660).

La position de la Chambre sociale était particulièrement attendue et vient contrarier la stratégie mise en place par certains CSE pour retarder la mise en œuvre d’un projet de restructuration impliquant un licenciement collectif et consistant à solliciter la suspension de la consultation ponctuelle relative au projet le temps que soit réalisée ou finalisée ou encore même rouverte la consultation sur les orientations stratégiques.

L’affirmation de l’autonomie des consultations ponctuelles avec la consultation sur les orientations stratégiques

Au cas d’espèce, la Chambre sociale était saisie de la pertinence de la suspension temporairement d’une consultation ponctuelle portant sur la résiliation d’un contrat d’association conclu avec l’Etat le temps que soit finalisée la consultation récurrente sur les orientations stratégiques ouvertes quelques jours après l’annonce du projet.

Censurant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, la Chambre sociale saisit cette occasion pour poser une règle générale, dont la portée nous paraît aller au-delà du cas d’espèce, pour établir le principe selon lequel « la consultation ponctuelle sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise ou en cas de restructuration et compression des effectifs n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de l’obligation de consulter le comité social et économique sur les orientations stratégiques de l’entreprise » (Cass. Soc., 21 septembre 2022, n°20-23.660).

Dans sa note explicative, la Cour de cassation justifie sa décision par le fait que la consultation sur les orientations stratégiques, « par son objet et sa temporalité », a été « définie indépendamment des consultations ponctuelles. Elle offre un cadre à une discussion prospective sur l’avenir général de l’entreprise, distincte des consultations ponctuelles du [CSE] relatives à un projet déterminé de l’employeur ayant des répercussions sur l’emploi, notamment en matière de restructuration ».

L’interdépendance des consultations rejetée mais des risques demeurent

Si cette décision est conforme à l’esprit des textes, il n’en reste pas moins que certaines incertitudes planent encore sur l’articulation entre les consultations ponctuelles et la consultation sur les orientations stratégiques et imposent à l’employeur la plus grande vigilance :

  • Quelles implications pour l’employeur qui consulterait le CSE sur un projet de réorganisation qui ne serait pas en ligne avec les orientations stratégiques préalablement exposées ou qui contrediraient lesdites orientations ?

    Les représentants du personnel pourraient estimer en effet qu’ils n’ont pas bénéficié d’une information exhaustive lors de la consultation sur les orientations stratégiques lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est par exemple mis en œuvre quelques semaines plus tard.

    Or, si la consultation sur les orientations stratégiques n’est pas l’instrumentum juridique prévu pour annoncer un projet de réorganisation, il est toutefois impératif que l’information délivrée à un instant « T » ne contredise pas celle délivrée dans le cadre d’un projet de restructuration a posteriori ; celle-ci doit en effet, au minimum, être en ligne avec le rationnel économique développé devant la représentation du personnel pour justifier une réorganisation.

    Si une certaine étanchéité doit donc être respectée entre les deux consultations dont les objets sont différents, la représentation du personnel comprendrait mal que lui soit présentée une situation optimiste pour ensuite qu’il soit développé devant elle un projet de licenciements collectifs.

    Mais l’attitude de l’employeur tend malheureusement à relever de la posture lorsque celui-ci n’ignore pas le projet de réorganisation à venir lorsqu’il consulte les représentants du personnel sur les orientations stratégiques ; pour autant, les deux informations doivent demeurer dissociées, nous dit la Cour de cassation.

    Dans cette situation particulièrement contraignante, le pragmatisme nous paraît de mise en organisant la réunion sur les orientations stratégiques le même jour, voir à J-1, que la R0 (réunion de lancement) relative à l’annonce du projet de réorganisation.

    Cette façon de procéder parait plus acceptable psychologiquement pour la représentation du personnel ; juridiquement, elle est conforme aux attentes de la jurisprudence.

    Quoiqu’il en soit, une attitude loyale de l’employeur est attendue celui-ci devant restituer des informations sincères relatives aux orientations stratégiques de la société en matière économique et financière ainsi qu’en matière d’emploi, information qui confine alors à l’exercice de style …

  • Enfin, quelles implications pour l’employeur qui n’aurait tout simplement pas réalisé de consultations sur les orientations stratégiques les années précédentes ?

    Au regard de la jurisprudence actuelle, il semble que ces points de contestation ne sauraient conduire, au regard notamment de l’étanchéité évoquée plus haut, à la suspension de la consultation sur le projet de réorganisation.

    Mais nul doute qu’en cas d’attitude déloyale de l’employeur, une situation de délit d’entrave serait vraisemblablement caractérisée.

En conclusion, si cette jurisprudence de la Chambre sociale est rassurante quant à l’étanchéité existante entre la consultation sur les orientations stratégiques et celle sur un projet ponctuel, il convient de bien réfléchir au contenu de l’information et à sa forme quand les dates des deux consultations sont très rapprochées.

Jacques Perotto, Associé, et Quentin Kéraval, Collaborateur.