BSPCE – Des précisions enfin apportées sur l’application d’une « décote d’illiquidité »

28 mars 2024
Pierre-Olivier Brouard & Julien Lebel

Le 19 octobre dernier, à l’occasion de la soirée organisée pour les 10 ans de la French Tech, le ministre délégué chargé de la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, avait indiqué que l’administration fiscale allait prendre une position formelle pour permettre aux sociétés françaises d’appliquer une « décote d’illiquidité » sur le prix d’exercice des BSPCE.

Cette annonce, qui avait à l’époque été très commentée, était restée générale, et avait suscité de nombreuses interrogations à commencer par le sens à donner à la « décote d’illiquidité ». Elle n’avait jusqu’à aujourd’hui pas connu de suites.

C’est désormais chose faite, puisque l’administration vient de publier, le 25 mars, une mise à jour de sa doctrine administrative (base BOFIP).

Cette mise à jour permet d’y voir un peu plus clair sur les intentions de l’administration fiscale même si l’on peut s’interroger sur le sens à donner pour des BSPCE à la notion de « décote d’illiquidité ».

A cet égard, il est important de rappeler que l’article 163 bis G du Code général des impôts qui définit le régime juridique et fiscal des BSPCE prévoyait déjà la possibilité d’une décote sur le prix d’acquisition de titres en exercice des bons lorsque depuis la dernière opération sur capital devant servir de référence, il y avait eu une « perte de valeur économique du titre » ou encore lorsque les droits des titres résultant de l’exercice du bon ne sont pas au moins équivalents à ceux des autres titres émis lors de l’opération sur capital.

Qu’apporte donc de nouveau la mise à jour de l’administration fiscale ?

En premier lieu, un doute peut être chassé : la possibilité d’appliquer une décote bénéficie à toutes les entreprises éligibles aux BSPCE, et non pas uniquement à celles qui répondent à la définition des jeunes entreprises innovantes, comme les termes choisis par le ministre lors de son annonce avaient pu le laisser craindre.

En second lieu, les conditions de la décote sont (un peu) plus claires : elle continue de pouvoir s’appliquer même lorsque la société a procédé à une augmentation de capital dans les six mois précédant l’attribution des bons mais l’administration fiscale est venue préciser ce que recouvre la notion de « droits équivalents ».

Si l’administration n’ouvre pas droit à une décote de manière générale et non justifiée, elle acte en revanche expressément le fait que des contraintes juridiques permettent de justifier l’application d’une décote.

Cette mise à jour fait ainsi référence à un nouvel exemple permettant de justifier la décote : des périodes d’incessibilités imposées aux bénéficiaires des titres résultant de l’exercice des bons créant ainsi des « situation d’illiquidité » (clause de « lock-up »). Elle mentionne également et c’est nouveau que la différence de droits entre les titres (ceux issus de l’exercice des bons et les autres émis par la société concernée) peut trouver indifféremment son origine dans les statuts ou dans les clauses d’un pacte. Elle mentionne à ce titre l’exemple de la clause de liquidation préférentielle destinée à permettre aux investisseurs financiers de récupérer de manière prioritaire le montant de leur investissement.

Est-on vraiment beaucoup plus avancé qu’avant cette mise à jour ?

Rien n’est moins sûr et ce pour deux raisons :

  • Comme nous l’avons déjà dit, la possibilité d’une décote existait déjà avant cette mise à jour et elle était pourtant diversement utilisée par les praticiens notamment par crainte de ne pas pouvoir la justifier avec suffisamment d’arguments documentés à supposer que l’on dispose d’une argumentation pour appliquer une décote, le plus délicat reste de déterminer quel est le montant acceptable ; or, l’administration fiscale n’a pas pris position sur ce sujet et n’a fourni aucun élément de discernement.

Il faudra donc, au cas par cas, examiner la situation au regard des contraintes imposées par la société attributrice aux bénéficiaires de BSPCE (la fameuse « illiquidité » figurant dans le discours du ministre en 2023), mais également aux avantages consentis aux investisseurs financiers.

Dans un article publié le 24 octobre dernier, les Echos relayaient des échanges intervenus entre l’association France Digitale et Bercy, et laissaient entendre que la décote liée à l’illiquidité des titres et au différentiel de droits entre les actions ordinaires et les actions de préférence pourrait atteindre jusqu’à 90%. L’objectif était de s’aligner avec les pays les plus libéraux en la matière.

Il semble que l’on ait péché par excès d’optimisme.

En effet, un tel niveau de décote devrait rester en pratique exceptionnel, et ne pourra se justifier que dans des cas très spécifiques.

Le guide de l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés, publié par l’administration fiscale, évoque des décotes comprises entre 20% à 30% afin de tenir compte de l’illiquidité des titres de sociétés non cotées. C’est un référentiel pour pouvoir justifier, en cas de contrôle, de la décote appliquée et donc de la valeur des titres émis en exercice des BSPCE.

En résumé, l’annonce du ministre en 2023 permettait d’espérer beaucoup plus que cette mise à jour qui pourra rassurer les utilisateurs de décote sur le prix de souscription des titres en exercice des BSPCE sans toutefois fondamentalement modifier la donne. Au final, quel que soit le pourcentage de décote retenu, il faudra toujours être en mesure de se justifier et de faire valoir le raisonnement dans la documentation juridique. On ne peut que recommander à nouveau de recourir au rapport d’un évaluateur indépendant qui aura modélisé les valeurs des différentes actions et donnera ainsi son opinion sur la décote possible (généralement sous forme de fourchette).

Nos équipes de droit des sociétés / Fusions & Acquisitions et de droit fiscal sont à votre disposition pour vous accompagner dans votre réflexion autour de ces sujets.