La protection des mineurs en ligne : regards croisés sur les cadres juridiques nationaux et transnationaux
Corinne Thiérache & Ines Ghanty
Le 4 décembre 2025, l’OFCOM (Office of Communications – autorité britannique de régulation des communications) a annoncé avoir prononcé une amende de 1 000 000 £ à l’encontre de la société de production pornographique AVS Group Ltd, en raison de l’absence de mesures efficaces de vérification de l’âge des utilisateurs (Investigation into AVS Group Ltd’s compliance with the duty to prevent children from encountering pornographic content through the use of age assurance). Cette sanction repose notamment sur l’article 12 de l’Online Safety Act, qui impose aux diffuseurs de contenus pornographiques de prévenir l’accès des mineurs à leurs contenus au moyen de dispositifs de contrôle de l’âge réellement efficaces.
En l’espèce, l’OFCOM a considéré que le dispositif mis en place, fondé sur le simple téléchargement d’une photographie par les utilisateurs, pouvait être aisément contourné par des mineurs et ne satisfaisait donc pas aux exigences légales en matière de protection de l’enfance, sans parler du caractère particulièrement intrusif de la solution adoptée.
Parallèlement, l’Australie a récemment adopté une législation interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 16 ans (Online Safety Amendment (Social Media Minimum Age) Bill 2024 – Parliament of Australia), entrée en vigueur le 10 décembre 2025. Cette réforme a pour objectif de protéger les jeunes publics contre les effets des algorithmes addictifs et les risques associés à l’usage intensif des plateformes numériques. En cas de non-respect, les entreprises concernées s’exposent à des sanctions financières importantes, dès lors qu’elles n’auraient pas mis en œuvre des mesures raisonnables garantissant l’effectivité de cette interdiction.
Plus largement, ces évolutions s’inscrivent dans un mouvement international de renforcement des cadres juridiques de protection des mineurs dans l’environnement numérique. Ainsi, la France, le Danemark, l’Espagne, la Grèce, la Belgique et la Norvège ont déjà exprimé leur intention d’adopter des politiques similaires à celle mise en place par l’Australie.
Toutefois, comme l’illustre la sanction infligée par l’OFCOM, les dispositifs actuels de vérification de l’âge demeurent largement insuffisants, aisément contournables et parfois particulièrement intrusifs. Ces limites nourrissent les réticences à l’instauration de telles politiques ou, à tout le moins, justifient les débats qu’elles suscitent lors de leur mise en œuvre. En témoignent notamment l’abandon de certaines politiques de couvre-feu numérique en Corée du Sud et en Chine, ainsi que les discussions autour de l’adoption d’une législation fédérale instaurant une limite d’âge aux États-Unis.
En France, la loi du 7 juillet 2023 instaure une majorité numérique théorique fixée à 15 ans pour l’inscription sur les réseaux sociaux (LOI n° 2023-566 du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne (1) – Légifrance). Mais en pratique, cette loi demeure inapplicable, faute de décret d’application et en raison de l’avis défavorable de la Commission européenne, qui considère que certaines de ses dispositions ne seraient pas conformes au droit de l’Union européenne. Malgré l’échec manifeste de cette loi, le Sénat a néanmoins adopté une proposition de loi, le 18 décembre 2025, prévoyant l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux pour les enfants de moins de 13 ans et l’instauration d’un accord parental pour les mineurs jusqu’à 16 ans (Proposition de loi visant à protéger les jeunes de l’exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux – Sénat). La position de la Commission européenne aurait-elle évolué sur ce sujet ?
A ce jour, en Europe, la protection des mineurs en ligne repose notamment sur le règlement sur les services numériques (Digital Services Act – DSA), qui vise à renforcer la responsabilité des plateformes et à consacrer le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne doit l’être également en ligne. Ce cadre offre une protection générale des utilisateurs.
Ciblant plus spécifiquement les mineurs, la Commission européenne a publié, le 14 juillet 2025, des lignes directrices relatives à la protection des mineurs afin de renforcer la sécurité en ligne des enfants et des adolescents dans le cadre du DSA (La Commission publie des lignes directrices sur la protection des mineurs | Bâtir l’avenir numérique de l’Europe). Ces lignes directrices recommandent notamment de :
- Paramétrer par défaut les comptes des mineurs en mode privé ;
- Veiller à ce que le manque d’éducation commerciale des enfants ne soit pas exploité et à ce qu’ils ne soient pas exposés à des pratiques commerciales manipulatrices ;
- Renforcer les outils de modération, de signalement et de traitement des contenus préjudiciables.
Si la protection des mineurs apparaît désormais comme une priorité largement partagée à l’échelle mondiale, la protection de l’ensemble des citoyens face à des technologies numériques en perpétuelle évolution, souvent complexes et mal comprises, reste un défi juridique, sociétal et politique de premier ordre.
L’équipe ALERION en droit de la propriété intellectuelle et droit des technologies de l’information est à vos côtés pour garantir la protection de vos intérêts face aux défis d’un monde numérique en constante évolution.