RSE : La médaille et son revers (2)

09 février 2023
Jacques Perotto et Maxime Hermes

L’ambition de la performance sociale et environnementale confrontée à la performance économique

Loin d’être un oxymore, ce titre expose deux ambitions, dont l’une a eu tendance à se faire au détriment de l’autre ou, au mieux, l’une avant l’autre.

Même s’il est vrai qu’une entreprise disposant de plus de richesses sera toujours dans une meilleure position pour les partager avec ses salariés que l’inverse, il demeure qu’il ne serait guère rationnel d’exiger d’un chef d’entreprise de s’occuper de l’impact environnemental des activités de son entreprise avant sa performance économique.

Retour vers le passé

Une fois passé ce lieu commun, il demeure que cette conception est celle qui a toujours été mise en avant au moment d’adopter les grandes normes internationales en droit du travail.

L’Organisation International du Travail s’est construite autour d’un double postulat selon lequel :

  • Le progrès social devait faire l’objet d’une action étatique d’adoption de normes spécifiques de droit du travail (conventions internationales, recommandations etc ..) ;
  • Mais en tenant compte du fait que cette action en faveur du progrès social devait être laissée à l’intervention volontaire des Etats par la ratification de conventions opérée par chaque pays bénéficiant d’un progrès économique suffisant pour avoir les moyens de le réaliser.

Aucun traité d’intégration économique ou de libre-échange n’a à ce jour été conclu prévoyant la construction de normes sociales communes ; l’objectif consistant plutôt à rechercher une convergence des normes.

Ainsi au niveau européen, l’harmonisation des normes sociales s’effectue selon deux processus :

  • soit par le règlement européen qui s’intègre directement dans l’ordre juridique des Etats membres et fait l’objet d’une interprétation exclusive de la Cour de justice de l’Union européenne ;
  • soit par la directive qui, pour être applicable, doit être transposée en droit interne, ceci sous le contrôle de la Cour de justice qui vérifie la qualité de la transposition.

Ce processus d’harmonisation est réalisé par l’adoption de normes minimales communes contribuant à créer un socle commun de protection des salariés.

L’objectif est également de lutter contre le dumping social fondé sur la diminution des coûts lié à une faible protection de la santé et de la sécurité des salariés au sein de l’Union et ainsi éviter les distorsions de concurrence.

Retour vers le futur

Le développement exponentiel de la RSE depuis une quinzaine d’années a pour objectif de répondre à cet enjeu : devant l’incapacité des Etats à instituer de nouvelles normes sociales coercitives, les entreprises ont conçu leurs propres normes d’autorégulation ayant la nature de soft law.

Quelque soit l’avis que l’on porte sur ces normes dont la nature réellement contraignante est discutée/discutable, leur application transnationale, via par exemple les codes de conduite ou autres chartes éthiques a permis d’introduire de nouvelles garanties dans les pays aux règles de protection sociale non édictées par la législation locale.

Ainsi, si ces normes, dont la lecture laisse souvent un sentiment mitigé dans nos pays occidentaux et européens parce qu’elles apparaissent la plupart du temps comme une redite de la législation de l’Etat, sont devenues, au contraire, un outil de promotion des droits sociaux fondamentaux dans les pays « moins disant » sur ces questions.

La valeur normative des engagements pris en matière de RSE comme véritable enjeu

La question centrale reste celle de la valeur de la responsabilité sociale de l’entreprise sur le plan normatif.

Les décisions prises par les entreprises en matière environnementale et sociale constituent des choix de standards qui articulent les objectifs de l’entreprise (économiques, sociaux, sociétaux) avec les intérêts des stakeholders dont font partie les salariés.

  • Le pré-requis de l’intégration et respect de la législation du pays au sein duquel les engagements sont pris

Pour être à la fois pertinents socialement et juridiquement, ces engagements doivent impérativement intégrer avant tout la règlementation locale comme une donnée de base ; les normes volontaires que l’entreprise s’impose doivent s’intégrer dans l’ordre juridique national ou international et donc respecter l’ordre juridique dans lequel celles-ci sont censées s’intégrer.

  • L’objectif de transparence

Jusqu’à présent, l’absence de cadre élaboré par une institution internationale ou régionale a rendu difficile l’évaluation des engagements pris en matière d’impacts de durabilité en tant que réponse normative globale. Aucune certification n’est apparue comme légitime à déclarer telle ou telle entreprise globalement socialement et environnementalement parlant responsable.

Ainsi, l’engagement d’une entreprise dans tel ou tel programme d’action sociale, sociétale ou environnementale ne pouvait être analysé comme une reconnaissance globale du caractère vertueux de l’ensemble des impacts sociaux et environnementaux liés aux activités de l’entreprise : la nature même de la norme à laquelle l’entreprise acceptait de se soumettre résultait d’un choix sélectif, ce qui relativisait sa portée en tant que norme.

En outre, seule la mise en œuvre de process d’évaluation et de reporting permet le contrôle effectif des engagements pris sur un plan qualitatif et quantitatif.

Aussi, l’intitulé même de la nouvelle Directive européenne du 16 décembre 2022 (Corporate Sustainability Reporting Directive) est loin d’être anodin : tel ou tel engagement pris au gré de la bonne volonté sélective de l’entreprise ne suffira plus pour devenir vertueux ; une véritable analyse d’impact des activités de l’entreprise devra être menée qui s’accompagnera d’un reporting dont la nature n’est plus seulement déclarative mais induira des réalisations concrètes.

En conclusion, si beaucoup s’accordent à soutenir que les engagements pris par les entreprises en matière de durabilité sont vecteurs de croissance, les chefs d’entreprise devront tout de même apprendre à conjuguer ces nouvelles contraintes induisant la mise en œuvre de process d’évaluation et de reporting permettant le contrôle qualitatif et quantitatif effectif de leurs engagements avec leurs objectifs de performance économique.

Jacques Perotto, Associé et Maxime Hermes, Collaborateur