Prudence : le rejet du recours en annulation pour cause d’irrecevabilité ne permet pas de conférer l’exequatur à une sentence arbitrale

22 septembre 2023
Jacques Bouyssou, Constance Benoist

Cass. 1re civ., 7 juin 2023, n° 22-12.757

Dans un arrêt du 7 juin 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que l’arrêt déclarant irrecevable le recours en annulation de la sentence n’emportait pas exequatur de celle-ci. Celui qui entend en poursuivre l’exécution forcée ne peut donc se prévaloir de l’article 1498, alinéa 2 du Code de procédure civile et n’est pas dispensé de demander l’exequatur de la sentence rendue en sa faveur.

Si tous les premiers commentateurs de cet arrêt semblent favorables à cette position et retiennent la cohérence d’une telle décision, cela n’allait pas de soi dans la mesure où l’article 1498, alinéa 2 du Code de procédure civile n’opère aucune distinction sur les raisons qui pousseraient le juge à rejeter le recours en annulation.

Par cet arrêt, la Cour de cassation est venue instaurer une différence de régime de l’exequatur selon le motif de rejet et ce, pour éviter que la sentence échappe au contrôle du juge. Or, certaines irrecevabilités (notamment celles fondées sur l’article 1466 du Code de procédure civile) imposent au juge de se pencher plus en détails sur la sentence. Il n’est dès lors pas certain qu’une telle solution se justifie dans tous les cas de figure.

Le contexte

Le 15 novembre 2013, une sentence arbitrale a été rendue par un arbitre unique, chargé de statuer comme amiable compositeur, saisi des différends apparus entre les associés de deux sociétés appartenant au même groupe.

Un recours en annulation a été formé à l’encontre de cette sentence.

Par arrêt du 17 mars 2016, la cour d’appel de Douai a déclaré recevable le recours en annulation, nonobstant le défaut de remise à la cour de la déclaration de saisine par voie électronique, la plateforme e-Barreau ne prévoyant pas la mention de « recours en annulation d’une sentence arbitrale ».

Puis, par arrêt du 18 janvier 2018, la cour d’appel de Douai – après avoir retenu le caractère interne de l’arbitrage – a annulé la sentence arbitrale au motif que le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

Le 26 septembre 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel rendu le 17 mars 2016 déclarant recevable le recours en annulation qui n’avait pas été effectué par voie électronique, comme l’exige l’article 930-1 du Code de procédure civile. Cela a également entraîné l’annulation de l’arrêt du 18 janvier 2018 annulant la sentence.

Dans le prolongement de cet arrêt du 26 septembre 2019, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été saisie. Dans un arrêt du 9 juin 2022 (CEDH, sect., 9 juin 2022, n° 15567/20), elle a jugé que « (…) la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif ».

Cette décision étant néanmoins sans effet sur l’affaire commentée, le bénéficiaire de la sentence, retrouvant son titre suite à la cassation et l’annulation de l’arrêt l’annulant, a cherché à en poursuivre l’exécution. Pour ce faire, il n’a pas saisi le juge d’une demande d’exequatur pensant pouvoir se prévaloir de l’article 1498, alinéa 2 aux termes duquel : « Le rejet de l’appel ou du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ou à celles de ses dispositions qui ne sont pas atteintes par la censure de la cour. »

Pour contester l’exécution de la sentence, son opposant a fait valoir que la cassation sans renvoi des arrêts de la cour d’appel de Douai intervenue le 26 septembre 2019 était insuffisante pour lui conférer l’exequatur et que l’arrêt de la Cour de cassation en ce qu’il a déclaré irrecevable le recours en annulation de la sentence ne constituait pas une décision de rejet au sens de l’article 1498, alinéa 2 du Code de procédure civile.

La cour d’appel de Douai, dans son arrêt du 3 février 2022, n’a pas été convaincue par cet argument et a retenu que le rejet par la Cour de cassation du recours en annulation pour cause d’irrecevabilité conférait bien l’exequatur à la sentence, de sorte que le bénéficiaire de la sentence disposait bien d’un titre exécutoire qui lui permettait de mettre en œuvre la mesure d’exécution litigieuse.

La Cour de cassation a néanmoins, par arrêt du 7 juin 2023, cassé cet arrêt d’appel au motif que le recours en annulation ayant été déclaré irrecevable, cela n’avait pas eu pour effet de conférer l’exequatur à la sentence.

La volonté d’assurer un contrôle prima facie de la sentence

Cette prise de position de la Cour de cassation se comprend par le souci de s’assurer qu’avant d’intégrer dans l’ordre juridique français une sentence arbitrale, celle-ci a fait l’objet d’un contrôle par le juge.

Le juge s’assure à cette occasion de l’existence de la sentence et de l’absence de contrariété à l’ordre public.

La logique consisterait ici à dire que lorsque le juge rejette le recours en annulation pour cause d’irrecevabilité, il ne procèderait à aucun examen sur le fond des griefs et ne serait donc pas amené à se prononcer, soit à la demande des parties soit d’office, sur la conformité de la sentence à l’ordre public.

Un tel raisonnement appelle au moins trois commentaires.

D’abord, la Cour de cassation opère une distinction selon le motif du rejet, ce que ne fait pas l’article 1498 du Code de procédure civile. Or, si la raison du rejet en cas d’irrecevabilité n’est certes pas de fond, cela n’en reste pas moins un rejet.

Ensuite, certaines irrecevabilités imposent au juge de se pencher en détails sur les griefs invoqués. C’est notamment le cas des irrecevabilités de l’article 1466 du Code de procédure civile selon lequel une partie qui se serait abstenue d’invoquer une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir. Les parties ne peuvent toutefois pas renoncer aux irrégularités relevant de l’ordre public de direction. Le juge saisi d’un recours est donc bien amené dans ce cas à examiner l’ensemble des griefs invoqués et à s’assurer, d’une part, qu’aucun n’a fait l’objet d’une renonciation et, d’autre part, que ceux qui auraient fait l’objet d’une renonciation ne touchent pas l’ordre public de direction. Dans une telle hypothèse, il existe donc un débat contradictoire sur l’ensemble des griefs soulevés.

Enfin, dans cette affaire, le recours en annulation ayant été dans un premier temps déclaré recevable, la cour d’appel de Douai a bien procédé à un examen de la sentence et n’a relevé aucune contrariété à l’ordre public. Certes, son arrêt a par la suite été annulé mais il est permis de penser que si elle violait manifestement l’ordre public, le juge d’appel l’aurait relevé.

Les implications de la distinction de régime de l’exequatur selon le motif du rejet de recours en annulation

La position de la Cour de cassation implique de se dépêcher d’aller saisir le tribunal judiciaire ou, le cas échéant, le premier président ou le conseiller de la mise en état compétent (en arbitrage interne, lorsque la sentence est assortie de l’exécution provisoire) lorsque l’on reçoit une sentence favorable.

Dans ce cas, si un recours en annulation est introduit contre la sentence en question et qu’il est accueilli, alors l’ordonnance d’exequatur tombera en même temps que la sentence.

En cas de rejet du recours contre la sentence, lorsque le bénéficiaire de la sentence a obtenu en amont une ordonnance d’exequatur, il conviendra de distinguer selon le mode de rejet du recours en annulation. En effet :

  • Soit il est rejeté sur le fond et alors l’arrêt de rejet constitue le titre exécutoire ;
  • Soit il est rejeté pour cause d’irrecevabilité et alors il est permis de penser que seule l’ordonnance d’exequatur rendue par le tribunal judiciaire ou le conseiller de la mise en état, censée n’être qu’une étape provisoire, survivrait et constituerait le titre exécutoire permettant de poursuivre l’exécution forcée de la sentence.

En l’absence d’ordonnance d’exequatur, le rejet pour cause d’irrecevabilité du recours contre la sentence arbitrale obligera son bénéficiaire à saisir le tribunal judiciaire afin de pouvoir l’exécuter.

Conclusion

La prise de position de la Cour de cassation impose une lourdeur procédurale qui ne paraît pas se justifier en toute hypothèse. Et probablement rien de tout cela ne se serait produit si le système de configuration électronique pour les recours contre les sentences arbitrales était correctement configuré…